George Church, nouveau Darwin ou imposteur de la génétique ?
Professeur de génétique à la faculté de médecine de Harvard, où il dirige un laboratoire de recherche en biologie synthétique, George Church veut faire revivre le mammouth laineux, en attendant de pouvoir fabriquer un génome humain ex nihilo. Des projets un peu dingues, qui lui ont valu d’être désigné comme l’une des 100 personnalités les plus influentes de l’année 2017 par le magazine Time.
Une enfance génétiquement modifiée
Né en 1954 sur une base militaire de Floride, George Church est le fils d’un pilote de l’armée de l’air. « Le genre de père qu’un jeune garçon admire, raconte-t-il à la Harvard Gazette, le genre à fuir toutes les responsabilités qui pourraient contraindre sa liberté », dont celle d’avoir un enfant. La mère de George se remarie avec un avocat, puis un physicien. Tous deux adopteront le jeune garçon. À l’âge de 10 ans, son troisième père, Gaylord Church, l’emmène voir l’Exposition universelle de New York, un événement qui suscite sa vocation scientifique. Quelques années plus tard, il l’envoie dans une école loin de la Floride. L’expérience se révèle très stimulante pour George, qui souffre alors de dyslexie et de troubles de l’attention. Ce vécu d’une parentalité multiple, à la fois biologique et sociale, a peut-être façonné son rapport à la génétique : une fascination doublée d’une grande insouciance.
Ringardiser Darwin
Étudiant, Church passe son temps dans les laboratoires à travailler sur l’ADN, tentant de faire converger informatique, mathématique et biologie. Sa passion pour les paillasses et les paillettes lui vaut d’être renvoyé de l’université Duke mais lui ouvre les portes de Harvard, où il va faire carrière en tant que professeur de génétique et chercheur en biologie synthétique.
Il projette un monde dans lequel la biologie synthétique deviendrait l’usine du futur
Son laboratoire, acteur majeur de l’édition génomique, compte aujourd’hui une centaine d’employés. Il a notamment contribué au séquençage du génome humain, en collectant des données génétiques non anonymes fournies en open data via la plateforme Personal Genome. Il est également connu pour ses travaux controversés sur la modification génétique des êtres vivants. Dans son livre Regenesis (Basic Books), paru en 2012, il décrit sa vision d’une humanité rendue résistante aux virus par modification génétique, la thérapie génique remplaçant les médicaments. Il projette un monde dans lequel la biologie synthétique deviendrait l’usine du futur, les quatre lettres de l’ADN (ATCG) permettant en théorie de fabriquer un nombre infini de ressources (nourriture, biocarburant, etc.) et d’organismes vivants, humains inclus. De quoi faire entrer l’humanité dans un âge définitivement post-darwinien.
L’insouciance du docteur Church
George Church est un pragmatique. Que l’on parle de modifier génétiquement des végétaux ou des humains, il s’agit encore et toujours de manipuler de l’ADN. Dans ces conditions, si l’on peut éradiquer le paludisme en modifiant les gènes du moustique qui propage l’épidémie, modifier les gènes du porc pour transporter des organes sur l’humain sans risque de rejet, modifier notre génome pour le rendre résistant au VIH ou bloquer la dégénérescence de nos cellules pour vivre jusqu’à 120 ans, pourquoi s’en priver ?
« La génétique, c’est un vaisseau spatial fantastique qu’un ingénieur en chef aurait garé dans notre jardin, sans mode d’emploi, mais avec des commandes intuitives qui nous permettent d’expérimenter »
Church est persuadé que nous trouverons bien, le moment venu, des solutions aux problèmes que nous aurons engendrés, comme les mutations secondaires ou le déséquilibre des écosystèmes. « La génétique, c’est un vaisseau spatial fantastique qu’un ingénieur en chef aurait garé dans notre jardin, sans mode d’emploi, mais avec des commandes intuitives qui nous permettent d’expérimenter et d’obtenir des résultats sans maîtriser l’ensemble du système », raconte-t-il à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
Neandertal et les mammouths laineux
Le généticien est aussi un extravagant. En 2013, il expose l’idée ubuesque de faire revivre un jour l’homme de Neandertal (enfin sa femme, pour être tout à fait précis). Deux ans plus tard, il promet la naissance, d’ici cinq à dix ans, d’éléphants d’Asie dotés d’une résistance au froid comparable à celle du mammouth laineux, disparu il y a quatre mille ans et dont on a retrouvé des fragments d’ADN. Ses spécimens d’éléphants-mammouths seraient envoyés en Sibérie pour ralentir la fonte de la toundra (les éléphants auraient une influence sur la température du sol), qui « risque de libérer autant de CO2 que si on brûlait deux fois toutes les forêts du monde ».
Une conception de la lutte contre le réchauffement climatique plus farfelue mais plus sexy que, disons, le financement de la transition énergétique… À sa façon, Church anticipe notre survie sur une Terre plus chaude de plusieurs degrés. Par exemple en modifiant notre génome pour nous faire pousser des branchies en prévision de la montée du niveau des océans. En 2016, il confiait au HuffPost américain faire partie de ces personnes qui ont pour vocation d’explorer de nouveaux mondes… Pourtant, avec sa barbe savamment taillée, qui tient autant de Darwin que de Zeus, l’homme aurait plutôt tendance à valider le stéréotype du vieux professeur tout ce qu’il y a de plus académique.
« Follow the money »
Il faut peut-être s’inspirer du mantra martelé tout au long de la série The Wire pour découvrir la vérité sur Church. « I’m highly conflicted », plaisante-t-il en projetant, en ouverture de ses conférences, une slide très moche couverte de logos représentant tous ses potentiels conflits d’intérêts : la Darpa, la Nasa, Google, le laboratoire Merck, etc.
D’autant que le docteur Church est lui-même le fondateur de plus de vingt sociétés de biotechnologie. « Ces structures, à la fois lucratives et non lucratives, nous aident à rendre opérationnelles nos technologies, à les installer dans la vie quotidienne », explique l’entrepreneur de la génétique. À ses yeux, la fin justifie largement les moyens : si la résurrection du mammouth laineux fait rêver quelques millionnaires biberonnés à Jurassic Park, pourquoi s’en priver ? Ainsi, Peter Thiel, entrepreneur milliardaire et transhumaniste décomplexé, a misé 100 000 dollars sur le mammouth laineux. Combien misera-t-il sur la création d’un génome humain de synthèse ?
Le génie endormi
Il existe une autre explication au mythe Church : la narcolepsie. Le chercheur confie au journal médical STAT que presque toutes ses idées visionnaires lui sont apparues lors d’épisodes de somnolence : « Ce n’est qu’à 50 ans que j’ai pris conscience que la narcolepsie n’est pas un bug, mais une fonctionnalité cognitive. » D’après lui, nous devrions encourager la « neurodiversité », accepter des cerveaux qui fonctionnent différemment comme ceux des personnes souffrant de certaines formes d’autisme, de troubles obsessionnels ou de narcolepsie. Le généticien aime parler aux journalistes de ses absences, les yeux grands ouverts. Alors comment savoir, finalement, si c’est le vrai George Church qui veut ressusciter les mammouths laineux, ou plutôt son génie endormi ?
Publié dans le numéro d’Usbek & Rica, numéro du 3 février 2019.