Et si la toile nous avait tous transformés en intellectuels en puissance ?
Sommes-nous au beau milieu d’une crise de la pensée ? L’historien britannique Sudhir Hazareesingh et la journaliste belge Béatrice Delvaux se sont émus, le jeudi 4 février au Mucem, à Marseille, de la disparition des intellectuels français. Paix à leur cerveau. La France, ce pays des droits des humains (l’homme avec un grand H ayant toujours fait une piètre femme), qui se croyait depuis les Lumières devoir penser pour tous les autres, aurait sombré dans une grave dépression, caractérisée par un pessimisme galopant et un repli sur soi.Mais de quelle intellectualité parlons-nous ? Ces deux amoureux de la France discourent en fait de la disparition de la figure de « l’intellectuel français » : Sartre, Foucault, Derrida… Ces intellectuels, que tout le monde visiblement nous envie, comme s’ils ne pouvaient exister qu’en France, agissaient en quelque sorte comme des guides spirituels publics, ils prenaient position dans les grands débats politiques, contraient les raisonnements faciles et élevaient notre degré de conscience. « Le débat d’idées structure la société française beaucoup plus qu’ailleurs. La pensée est une composante essentielle de ce que veut dire “être français” », analyse Sudhir Hazareesingh, qui regrette la place qu’ont pris dans l’espace public des intellectuels médiatiques dont la pensée ne tient pas la comparaison par rapport à celle des Sartre, Foucault et autres Derrida d’hier.
Que la figure de l’intellectuel s’essouffle, c’est probable, mais que cela caractérise une crise de la pensée, cela reste très discutable. Nous sommes, certes, au beau milieu d’un torrent de crises : sociale, écologique, financière, religieuse, mais s’il y a bien un profiteur de crise, c’est la pensée. Stimulée par tous ces problèmes abyssaux, elle s’exprime de partout et de façon très désordonnée, remettant en cause les systèmes établis défaillants, cherchant d’autres voies, explorant l’Histoire, s’inspirant des autres. Les réflexions autour des communs en sont une belle illustration . C’est peut-être le manque de lecture synthétique qui crée ce sentiment de déclin de la pensée. Il n’y a pas « d’hommes providentiels » pour incarner cette vitalité intellectuelle et créatrice… Enfin plutôt, s’il y en a, leur influence s’érode très vite dès lors qu’ils sont exposés médiatiquement, ce que concède Béatrice Delvaux. Dès qu’une personne arrive avec une idée nouvelle, le circuit médiatique la surexpose jusqu’à l’écœurement et l’épuisement de la pensée, puis passe rapidement à autre chose.
Aussi, ne sommes-nous pas plutôt face à une crise de la médiation de la pensée ? En effet, les médias traditionnels semblent bien en peine de rapporter la richesse des réflexions en cours, mais cela est peut-être le corolaire de la disparition de « l’intellectuel ». Les intellectuels n’ont plus le monopole de la pensée comme les médias n’ont plus le monopole de la transmission. Et pour cause, il y a un petit truc qui est apparu dans les années 1990 puis un autre dans les années 2000, il s’agit bien sûr du Web et des réseaux sociaux.
Ces nouveaux dispositifs d’échange et de discussion font de chacun d’entre nous des intellectuels et des nœuds médiatiques en puissance. En complément de l’école et des médias, Internet nous donne accès à une base de connaissance et à des méthodes d’apprentissage qui étaient auparavant enfermées dans des institutions réservées à une certaine élite, et nous avons la possibilité de les diffuser au-delà de notre cercle proche. Sur Internet, une idée nouvelle, avant d’être usée jusqu’à la corde, est commentée, enrichie, contredite, soutenue… Elle nourrit à la fois une forme de pensée collective et la pensée de chacun.
Cependant, … lire la suite sur le Digital Society Forum