Et si nous connections absolument tout ?
Depuis quelques mois, dans le milieu très microcosmique des nouvelles technologies, on entend parler que de ça. Impossible d’y échapper. C’est devenu obsessionnel. Il faut tout connecter. Absolument tout. Sans exception.
C’est la fièvre des objets connectés : la montre, les vêtements, les sous-vêtements, la couche du bébé, la brosse à dents, la cigarette électronique, le miroir, les lunettes, la fourchette, la balance, le lit, la voiture…
Chaque matin ou au beau milieu de la nuit, une personne se réveille avec une nouvelle idée d’objet à connecter. Trois semaines après, elle quitte son job de journaliste, de développeur, de designer, d’étudiant… et monte sa startup. Moins de six mois plus tard, l’objet est connecté et applaudi dans les meet-up. Dans le monde de l’Internet des objets, Internet of things en anglais ou l’IoT – prononcez « l’ail-au-ti » – il faut aller très vite, un mois de trop et vous êtes out.
Et quand tous les objets seront connectés, il restera nos chiens, nos chats, nos cochons d’inde, les vaches, les arbres et les tomates… Et puis quand tous les animaux et tous les végétaux seront connectés, il restera nous : nos doigts, nos pieds, nos oreilles, nos organes, nos veines, nos yeux avec une puce Wi-Fi greffée sur chaque rétine. Connectons, connectons, connectons… jusqu’à ne faire qu’un seul corps.
Et quand tous les corps et leurs morceaux seront connectés, nous connecterons l’immatériel : nos émotions, nos secrets, nos peurs…. Il faut tout connecter, absolument tout, jusqu’à n’être qu’un seul être vibrant d’une seule voix.
Fusionnons, fusionnons, fusionnons…
Admettons… mais pour faire quoi ?
« Pour savoir !
– Pour savoir quoi ?
– Combien de bouffées je prends, à combien de cigarettes ça correspond, combien de minutes de vie j’ai gagnées…
– Pour t’aider à arrêter de fumer puis à arrêter de vapoter ?
– Non, moi j’adore vapoter.
– Mais pourquoi alors ?
– Pour partager avec les autres, pour comparer…
– Pour comparer vos vapotages ? Comme une compétition ? Qui vapote le plus ? Le plus vite ? Le plus longtemps ?
– Non, c’est juste pour savoir ce que font les autres, savoir si tu es dans la moyenne, si tu as un comportement excessif…
– Et sinon vapoter sans être connecté, c’est possible ? »
Extrait d’une conversation entendue mercredi soir dans un meet-up « ail-au-ti » à Paris, au sujet de la cigarette électronique connectée.
Finalement on se connecte, on se mesure, on se compare sans vraiment comprendre pourquoi, et surtout on ne comprend plus comment on faisait avant, du temps où nous n’étions pas connectés partout et tout le temps.
A l’approche d’une nouvelle application américaine grâce à laquelle nous partagerons bientôt tous nos secrets, le Huffington Post a interrogé ses lecteurs sur les raisons qui les poussent à partager toujours plus sur Internet : « On se sent moins isolé en partageant et en ayant l’avis des autres », « l’être humain a constamment peur d’être seul », « partager toujours et encore, donne l’impression de faire partie de quelque chose ». L’angoisse de la solitude et de l’insignifiance ?
C’est possible. En tous cas, en connectant tout, tout le temps, nous sommes en train de réaliser le plus gros crowdsourcing de données de notre histoire, un travail collaboratif qui dépasse tout ce que nous avons pu imaginer jusque)là. Et qui sait ce que nous découvrirons dans ce very Big Data ? « Luke… je suis ton père », « Nooooon ! »…
En attendant, ça joue des coudes dans la course à l’Internet of Everything, il y a des sauts gracieux et des chutes lourdes. Nous sommes peut-être en train de noyer notre individualité et notre liberté dans cet infini de données, devenant prévisibles et interchangeables comme dans le monde trop rangé de Rollerball. Mais il y aura toujours un « mais », il y aura toujours comme dans le film des « Jonathan E. » pour mettre du désordre et bousculer les dogmes. A moins que ce ne soit un dogme, en soi, que de croire aveuglément que tous les dogmes sont appelés à être bousculés !
Publié sur le Digital Society Forum