Sauver le monde et nous avec !

Fasciné par l’économie collaborative, Michel Bauwens a créé en 2005 la Fondation Peer-to-Peer : un observatoire et un réseau mondial de chercheurs sur les pratiques participatives. Son nouveau livre, « Sauver le monde », rapproche les réflexions et expérimentations de ce réseau des enjeux écologiques et sociaux auxquels nous sommes de plus en plus durement confrontés. Souvent étiqueté « utopiste », le discours de ce théoricien belge exilé en Thaïlande commence à séduire, d’autant que le fond de l’impasse se rapproche sérieusement…

Pour nous sauver, Michel Bauwens défend une économie organisée autour des biens communs. A la base, des collectifs d’individus contribuent à un projet, que ce soit une célèbre encyclopédie en ligne ou bien un logiciel open source ou même un jardin partagé. Le produit de ces contributions (savoir ou un bien partageable) reste la propriété de la communauté ou devient public. Toute privatisation de ce produit par une entreprise bloque la participation et conduit à la désertion du projet. Lorsque le principe de non accaparation est respecté, une sphère marchande peut émerger autour du processus de création des communs et de leur utilisation. Par exemple une entreprise peut trouver un modèle économique autour d’un logiciel open source de boutique en ligne (personnalisation, commission sur les ventes, maintenance…). La valeur se déplace alors en périphérie. Une infrastructure de coopération assure la pérennité de ces communs (Wikimedia Foundation pour Wikipedia, la Fondation Mozilla pour Firefox…). La cohabitation entre les collectifs de contributeurs, les entreprises qui opèrent autour et les structures qui représentent le projet est loin d’être évidente, car, contrairement aux deux autres entités, les communautés sont hors marché (régime de l’abondance, travail gratuit) et hors système de droit (auto-organisation, pas de vote, ni droit du travail ou de la consommation…).

Ces difficultés témoignent pour Michel Bauwens du caractère expérimental de cette économie, il parle d’ailleurs de prototype, ce modèle n’étant pas encore autonome et reproductible en dehors du système capitaliste. En effet, si l’économie des communs fonctionne d’un point de vue du collectif : un contributeur quitte Wikipédia, un autre le remplace ; ce n’est pas le cas d’un point de vue individuel : les contributeurs interviennent souvent sur leur temps libre, en parallèle d’un travail rémunéré au sein d’une entreprise marchande ou d’une institution publique.

D’un autre côté, le capitalisme dépend de plus en plus du travail gratuit et des moyens des contributeurs (Facebook, Airbnb, etc.), mais ne redistribue pas (ou vraiment trop peu) la valeur captée. Ainsi, nous approchons d’un point de bascule entre économie capitaliste, dont l’objectif est l’accumulation de capital (système de la compétition et de la rareté), et économie des communs, dont l’objectif est la production de savoirs et de biens communs (système de la coopération et de l’abondance).

L’économie capitaliste s’appuie sur le pari formulé par Adam Smith : la satisfaction des intérêts individuels conduit in fine à l’intérêt de tous. Or la situation écologique et sociale de notre époque nous démontre tragiquement que non : inégalités de l’économie de la rente, gaspillage dû à l’obsolescence programmée, croissance illimitée avec des ressources limitées, etc. Pour sauver le monde, il faut changer de paradigme, nous dit Michel Bauwens : passer de l’accumulation de capital à l’accumulation de communs. Il s’agit de soumettre le capitalisme à un nouveau contrat social acceptable et donc d’inverser la dépendance : les individus vivent des communs et donnent de leur temps libre au monde marchand…

Article publié dans Office et Culture

En savoir plus

« Sauver le monde, vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer » de Michel Bauwens et Jean Lievens (éd. Les Liens qui libèrent, 2015)