S’unir pour une économie plus participative
Le développement de l’économie collaborative modifie les rapports de force existants. Dans une économique classique, il y a d’un côté l’entreprise, avec un rapport de force interne entre patronat et employés/syndicats, et de l’autre côté, les consommateurs. Avec la consommation participative, le rapport de force oppose plutôt les entreprises à l’ensemble des travailleurs et des consommateurs – qui sont souvent les mêmes.
Répondre aux monopoles et aux inégalités de situations
Certaines plateformes collaboratives, comme les très médiatiques, Uber et Airbnb, pourraient atteindre des positions à la fois de monopole – une domination de l’offre – et de monopsone – une domination de la demande. En effet, dans le cas d’Uber par exemple, les chauffeurs n’ont qu’un vrai client, Uber lui-même, étant donné que la compagnie de VTC verrouille l’accès aux utilisateurs.
Un des problèmes clés de l’économie participative réside dans la disproportion de la répartition de la valeur entre les différents acteurs. Les plateformes ont tendance à les concentrer, à la fois par l’agrégation à grande échelle de données et de micro-revenus, mais aussi à travers leur valorisation boursière souvent spéculatives, leur rachat par des acteurs en vue ou encore leur optimisation fiscale très efficace.
Et ce qui fait débat, avec les plateformes collaboratives, c’est que la valeur de l’entreprise a été construite de façon collective. Ces plateformes se sont créées bien sûr grâce à leurs innovations technologiques, économiques, etc., à leurs inspirations entrepreneuriales et à leurs capacités à fédérer très vite une large base de contributeurs et de clients. Néanmoins, elles se sont également développées grâce aux dons, à la force de travail et aux biens des communautés qu’elles fédèrent, ainsi qu’à la captation des données personnelles de tous leurs participants.
Le cas du Huffington Post avait fait grand bruit en 2011 : le succès du média dépendait grandement de la production de ses blogueurs bénévoles, mais lorsque sa patronne, Madame Arianna Huffington, a vendu le site à AOL pour 315 millions de dollars, aucun des blogueurs n’en a vu un cent, aucun n’ayant par ailleurs eu son mot à dire sur l’évolution du média dans ce nouvel environnement.
Même constat pour le site Couchsurfing.com, un site d’entraide qui permet à des voyageurs peu fortunés d’être hébergés gratuitement quelques jours par un membre de la communauté. Au départ, c’était une organisation à but non lucratif. Sous l’impulsion de son développement et de la volonté de ses dirigeants, la structure a évolué vers un statut plus commercial (B Corp), avec l’entrée de capital-risqueurs dans la société. Résultat : un changement de conditions générales d’utilisation (CGU), permettant au site de vendre les données personnelles collectées, ce qui était clairement exclu auparavant.
Des histoires comme celles-ci se répètent dans le monde encore très libre de la consommation collaborative. Et dans ces moment-là, les travailleurs et consommateurs de ces plateformes perdent sur tous les tableaux : soit ils acceptent la nouvelle situation, qui pourtant leur déplaît ou du moins ne correspond plus au projet d’origine, soit ils quittent la plateforme, abandonnant tout ce qu’ils ont pu y mettre.
A noter que pour les plateformes elles-mêmes, la réalité peut être tout aussi cruelle. Nombre d’entre elles, en effet, se sont effondrées suite à une désertion brusque de leurs contributeurs et consommateurs, sous l’effet d’un changement de mode ou suite à l’arrivée d’une nouvelle plateforme plus performante. Myspace a connu un tel sort.
L’économie collaborative s’appuie donc sur l’idée d’une participation des individus à des projets et des services, sans qu’aucun engagement réciproque n’existe. Si bien qu’en fonction de l’évolution des rapports de force, aucune garantie ne couvre les protagonistes. Cela peut rapidement se transformer en une politique du chacun pour soi.
C’est pourquoi la création d’un organisme de défense des intérêts des individus utilisateurs de services collaboratifs, qu’ils soient simple client ou travailleur, est apparu comme une piste d’innovation importante aux yeux de l’équipe de ShaREvolution, animée par la FING et Oui Share. Des représentants de grandes entreprises, d’associations, des chercheurs et des indépendants se sont donc mis autour d’une table pendant quelques heures, le 24 novembre dernier, dans les locaux de Cap Digital, afin d’imaginer ce à quoi une telle organisation pourrait ressembler.
La nécessité d’un contre-pouvoir
Etant donné que les individus sont à la fois des travailleurs ou des consommateurs, l’organisme à créer serait inédit. Il s’agirait… (lire la suite sur Culture Mobile)
Chrystèle Bazin