Marcher en travaillant / Travailler en marchant
Benoit Pereira da Silva travaille en marchant. Il n’est ni guide de haute montagne, ni garçon de café, il est programmeur. Un travail qui se fait plutôt vissé à un siège pendant des heures, les yeux rivés sur un écran, les mains tendues au-dessus d’un clavier d’une superficie de quelques centimètres carrés…
Benoit Pereira da Silva aime s’amuser avec les données et découvrir des corrélations saugrenues. C’est ainsi qu’il a réalisé qu’il grossissait à mesure que les nouvelles technologies progressaient. Arrivé à 107 kilos, il décida enfin d’arrêter de nier la réalité. Et le surpoids n’était pas tant le problème que la conséquence d’un problème partagé par une partie de l’humanité : l’inactivité physique. Nous savons, au fond de nous, que notre vie de loukoum géant, le doigt sur la télécommande et les fesses dans nos voitures, est mauvais pour notre santé. Cet avachissement généralisé traduit une autre réalité : nous avons déserté nos corps, pire nous les nions. En restant assis des heures sans bouger devant un écran, nous nous plions à la réalité de l’ordinateur et rejetons la nôtre. Nous laissons l’outil nous façonner. L’être humain est par essence un bipède qui se meut. Demandons-nous combien de temps un enfant peut tenir assis sans bouger.
Benoit Pereira da Silva n’est pas du genre à vous vendre une solution toute faite, ni à se résigner devant un problème autant massif que complexe. Son approche est dite constructale : mieux vaut réduire les imperfections d’un système que d’essayer de le rendre parfait. C’est ainsi qu’un jour il a suivi les conseils de l’endocrinologue James Levine : il a rehaussé sa table de travail et a installé un tapis roulant à la place de son siège. Il a déjà marché 6 333 km. Il fait 20 à 30 km par jour à 3km/h, soit des journées de 7 à 8 heures de marche-travail. Il peut maintenant calculer son chiffre d’affaires au kilomètre…
Résultat : non seulement, il a augmenté sa productivité mais en plus il a perdu 25 kilos. Mais surtout il a réhabité son corps. En outre, la marche rythme ses journées et lui procure une fatigue saine, celle que le sommeil délasse avec délectation. Bref, tout va mieux. Il est bien sûr conscient que c’est un peu ridicule de marcher en travaillant. Le dispositif du tapis roulant est pour le moment lourd, bruyant et contraignant, mais il a réduit une imperfection et pourrait inspirer les architectes, les designers de bureaux, les managers, même les politiques. Nous pourrions voir émerger au travail des couloirs de marche, des circuits de réunion, des salles collectives avec tapis roulant, des parcs ambulatoires pour indépendants, etc. Nous pourrions organiser les villes autour de la marche, du piéton qui se meut et non du piéton qu’on transporte.
C’est cette perspective, cette foi dans la contamination des consciences qui l’a poussé à sortir littéralement son dispositif de la confidentialité : il a conçu avec le soutien de Withings, un prototype de bureau nomade et il est parti travailler en marchant… dehors. Ce fut une expérience éprouvante mais riche de rencontres et surtout spectaculaire, et c’est ce qu’il fallait pour attirer notre attention. La transformation est en marche…
Chrystèle Bazin
Publié dans le numéro 34 d’Office et Culture (novembre 2014)
(Marcher en travaillant en PDF)