Yes we Poult !

Vu et entendu à la conférence LIFT à Marseille en octobre dernier : Jérôme Introvigne marche de long en large sur la scène, toisant un auditoire médusé. Il ne s’agit pas d’un jeune entrepreneur qui a trouvé l’idée du siècle, non, il s’agit de l’ancien manager de l’innovation du Groupe Poult, une vieille biscuiterie qui a pris un sérieux coup de jeune.

Imaginez une entreprise où l’auto-organisation est la règle, où les employés sont libres de définir leur poste, leur méthode de travail, la gestion de leur temps… Une entreprise dont la doctrine managériale vise à donner plus de responsabilités et d’autonomie à ses salariés. Une entreprise qui incite à manager par la confiance, abolissant les reporting en série et les prises de décisions hiérarchiques. Une entreprise où il n’y a pas de case rigide, de titre précis, de chemin tout tracé, de progression par la hiérarchie, de compétition interne à coup de primes ou de brimades, etc. « Ouah la vache ! », dirait Holden Caulfield dans l’Attrape-cœurs, c’est un coup à faire revenir dans les entreprises le plus indécrottable des travailleurs indépendants !

Mais pourquoi une biscuiterie montalbanaise (ndlr : de Montauban) fondée au 19e siècle a décidé de filer un tel coton anarcho-laxiste ? C’est dans le contexte d’une croissance économique à l’arrêt et d’une fusion avec son plus gros concurrent, que le groupe Poult commence sa mue en 2006 avec une première séance de réflexion collective. Puis, la direction met en place une cellule d’innovation que vient animer Jérôme Introvigne. Des entreprise comme la picarde Favi ou la charentaise Lippi ont inspiré Poult, elles ont toutes deux pris le parti de faire confiance a priori plutôt que d’ériger des barrières de contrôle. « Pourquoi les entreprises nous regardent, nous considèrent et nous traitent comme des irresponsables ? », s’interroge Frédéric Lippi lors d’une TED conférence à la Rochelle en allusion aux moult formulaires à remplir chaque fois que l’on a besoin de dépenser 50 euros pour travailler.

Concrètement, qu’est-ce qui a changé chez Poult ? Le comité de direction, deux niveaux hiérarchiques et des silos fonctionnels ont été supprimés. Les managers ont évolué vers des rôles d’animateurs et parmi ceux qui ont perdu leur poste de chef, certains ont rejoint l’équipe en charge de la réorganisation. Les salariés sont libres de mener de nouveaux projets dès lors qu’au moins deux employés aux compétences complémentaires les suivent. Récemment un groupe de salariés a lancé des biscuits en forme de Lego « pour que les enfants puissent enfin s’amuser avec la nourriture ». 95% des investissements sont décidés par des représentants de toutes les fonctions de l’entreprise, ce qui permet de mieux faire comprendre les choix budgétaires. L’équipe qui va accueillir un nouveau salarié est associé au choix du candidat et possède même un droit de véto. Côté formation, la Poult Académie permet aux salariés d’apprendre des uns et d’enseigner aux autres. Enfin, l’entreprise a supprimé le système des primes, car comme l’affirme Jérôme Introvigne : « il faut cesser de croire à la pratique de la carotte et du bâton, une option totalement improductive lorsqu’on poursuit des projets un peu intelligents ». Les salaires sont indexés sur l’inflation et les augmentations sont décidées par un comité d’une quinzaine de personnes issues de l’entreprise. Jérôme Introvigne insiste également sur la libre circulation de l’information, via des médias sociaux déployés à cet effet, déplorant que trop souvent les actionnaires soient au courant de changements stratégiques avant les salariés.

Résultats : + 13% de croissance en 2013 sur un marché qui recule de 2%. Des salariés contributeurs, un remède à la crise ? Poult alors ! Si on avait su ça plus tôt !

Article publié dans Office et Culture