Et si Uber tuait le père Google ?
Uber vient d’embaucher une cinquantaine de chercheurs de l’Université Carnegie Mellon à Pittsburg (Pennsylvanie) et en particulier de son Centre National d’Ingénierie Robotique. C’est le laboratoire de recherche qui avait mis au point le robot Mars Exploration Rover, ce petit robot qui a exploré le sol martien en 2004. Uber se lancerait-il dans la conquête spatiale ? Non, la compagnie californienne est pour l’instant beaucoup plus terre à terre, c’est la route qui l’intéresse et ce qu’on met dessus : les voitures. Et demain Travis Kalanick, son CEO espère qu’on y mettra des voitures sans chauffeur Google Uber.
Il le claironne depuis deux ans, il veut faire d’Uber la Générale des Eaux de la voiture. Si personne ne stocke l’eau dès lors qu’il suffit d’ouvrir un robinet, personne n’achètera de voiture dès lors qu’il suffira de cliquer pour en faire venir une. La voiture deviendrait une commodité et Uber serait son distributeur. Bien au-delà du petit marché des compagnies de taxi, Uber vise donc l’astronomique marché du transport dans son ensemble.
Sauf que jusqu’à présent Uber se concentrait sur l’organisation céleste des flux et laissait à Google, l’un de ses principaux actionnaires, l’univers de la production de véhicules autonomes. Que veut dire alors ce recrutement massif ? La lune de miel entre les deux sociétés aurait-elle été désintégrée par l’annonce de Google de lancer son propre service de transport à la demande ?
Avec Maps – utilisé par Uber – et Waze, Google possède les services de cartographie et d’itinéraire les plus performants au monde. Une fois ces briques logicielles reliées à ses véhicules sans chauffeur, Google aura-t-il encore besoin d’un Uber indépendant entre les deux ? Et sans Google, Uber perdrait, non seulement l’un de ses financeurs clés mais aussi son partenaire principal. Le piège Google dans toute sa splendeur : une dépendance technologique – la gratuité (ou presque) des services – doublée d’une dépendance capitalistique – soit une illustration du mot d’ordre des années 2010 pour illustrer la stratégie de fusions et acquisitions (Mergers & Acquisitions) des GAFA vis-à-vis des entreprises innovantes ou des futurs concurrents : « M&A is the new R&D ».
Uber peut-il résister à la force de gravité de Google ? Difficile d’y croire, mais l’entreprise de VTC semble décidée à relever le défi. En plus de l’embauche des équipes de l’Université de Carnegie Mellon, Uber envisage de demander la démission de son Conseil d’Administration de David Drummond, le CEO de Google Ventures, la branche d’investissement de Google, en raison des conflits d’intérêts avérés entre les deux sociétés.
Par ailleurs, Uber incarne une révolution copernicienne : hier les travailleurs tournaient autour de l’entreprise, demain c’est les entreprises qui pourraient tourner autour des travailleurs. En effet, si le travail s’est organisé depuis l’industrialisation autour des entreprises et des moyens de production, il pourrait demain s’organiser autour des individus eux-mêmes, de leurs compétences, de leur temps disponible… Hier, les entreprises possèdaient des salariés qui possèdaient des emplois, demain le travail pourrait être réparti de façon dynamique directement entre individus.
C’est un changement de modèle social majeur, on parle même d’uberization du travail. Certains y voient l’ultime étape du capitalisme, poussant la logique du profit au maximum en désintégrant le modèle de protection sociale des travailleurs (droit du travail, convention collective…), d’autres l’émergence d’une nouvelle société dans laquelle le travail serait enfin libéré de l’emploi.
Que l’on soit pro ou anti Uber, on peut s’accorder sur un point : il y aura un avant et un après Uber, un peu comme il y a eu un avant et un après Google. Uber a commencé avec une application de voiture à la demande, Google a commencé avec un moteur de recherche, mais les deux entreprises avaient dès le départ des ambitions plus vastes : révolutionner le monde du transport pour Uber, révolutionner le monde de l’information pour Google, pour finalement se retrouver aux avant-postes de considérations philosophiques et sociétales qui les dépassent : le travail pour Uber, l’immortalité pour Google…
Si Uber veut un jour goûter à une destinée aussi historique que celle de Google, pour le meilleur et pour le pire, l’entreprise de VTC va devoir sortir de l’orbite de son étoile protectrice pour ne pas se faire absorber, au risque de se dissoudre dans une galaxie trop vaste pour elle… Espérons néanmoins que l’ascension vertigineuse d’Uber ne l’amène pas un jour, comme dans H2G2, à pulvériser la Terre pour faire passer une autoroute hyperspatiale…