Et si on s’en « dronait » à cœur joie ?

Le 15 février, la très sérieuse Federation Aviation Administration – la FAA – a rendu public son projet de réglementation concernant l’utilisation commerciale de drones dans l’espace aérien américain. Jusqu’à présent, la FAA délivrait des autorisations au compte-gouttes. Ainsi celle donnée en juin dernier au groupe pétrolier BP pour mener des repérages en Alaska. Cette réglementation, si le projet présenté par la FAA est adopté, permettrait de faciliter le recours aux drones pour les entreprises.

Malheureusement pour Amazon, Fedex, etc., la FAA n’acceptera pas les drones-livreurs, les pilotes devant garder l’appareil dans leur champ de vision durant toute la durée du vol et les lâchers de colis étant interdits… La société de Jeff Bezos avait annoncé, fin 2014, vouloir délocaliser son labo de recherche sur les drones en Inde si la FAA n’assouplissait pas les règles. Visiblement, les menaces n’ont pas impressionné l’administration américaine. Mais il y a d’autres mécontents, par exemple les chaînes de télévision. Les drones journalistes, en effet, ne seront pas non plus de la partie, le survol de personnes restant interdit. La FAA envisage néanmoins de l’autoriser à l’avenir pour les appareils de moins de 2 kg. Les secteurs de l’agriculture, du bâtiment ou encore de la sécurité pourront, pour leur part, s’en « droner » à cœur joie.

Les restrictions de la FAA se rapprochent de celles appliquées en France depuis 2012 pour les drones de loisir (assimilés à de l’aéromodélisme) : le pilotage n’est pas autorisé en milieu urbain, ni dans les zones réglementées (aéroports, centrales nucléaires, sites militaires, etc.), ni au-dessus des rassemblements de personnes, et il n’est permis qu’à vue directe du pilote et à une hauteur maximale de 150 mètres, sauf restrictions supplémentaires. Il est aussi demandé aux opérateurs de passer un certificat d’aptitude théorique de licence de pilote pour se familiariser avec le vocabulaire et les règles de l’aviation civile. En outre, toute publication d’images capturées via un drone est soumise à l’autorisation des personnes filmées ou photographiées, donc à part les dronies (selfie réalisé par drone), pas grand chose de possible…

Mais, étant donné le succès des drones jouets comme ceux de la marque Parrot , le développement des drones de loisir risque de se faire de façon incontrôlée et en dehors des sages clubs d’aéromodélisme. D’autant qu’aux Etats-Unis, l’utilisation de ce type d’appareils par les particuliers reste très peu encadrée. Le crash d’un micro-drone dans le jardin de la Maison Blanche en janvier dernier a pourtant fait polémique, et d’autres accidents ou abus font régulièrement l’objet de plaintes. Les Rangers du parc Yosémite ont ainsi interdit le survol de leur site, suite à une chute de drone à proximité de visiteurs et aux nuisances sonores et visuelles de ces petits bolides. En avril, des volontaires du Parc national Zion, dans l’Utah, ont observé un drone tourner autour d’un troupeau de moutons, le pilote « s’amusait » à séparer les brebis des agneaux…

Ainsi, de la même façon qu’il s’est avéré indispensable de mettre en place un code de la route et de se donner les moyens de le faire respecter, il semble inévitable de réglementer l’usage des drones civils, qu’il soit professionnels ou non. Mais certains constructeurs ainsi que les citoyens américains les plus libertaires ou libertatiens cherchent des solutions techniques pour l’éviter, à l’image de l’initiative noflyzone.org.

Les zones pointées par le site noflyzone fonctionnent un peu comme la liste rouge d’un annuaire. En théorie, il suffit d’enregistrer sa propre adresse sur le site et les coordonnées sont transmises aux systèmes d’exploitation des drones, ces derniers pouvant alors détecter des zones interdites et les éviter. Mais encore faut-il que les constructeurs de drones acceptent d’intégrer cette base de données à leurs produits. Et un jour, il faudra peut-être payer pour un tel service, à l’image des listes rouges téléphoniques. Ce système d’interdiction sélective de survol est déjà en place sur certains modèles, à l’initiative des constructeurs, afin d’éviter qu’un drone puisse approcher des lieux sensibles, comme les aéroports, certaines places publiques… Il est possible, finalement, qu’une base de données consolidée incluant les contraintes légales (interdiction de survol, limitation de hauteur, de vitesse, etc.) et les zones privées classées « liste rouge » soit directement intégrée dans le logiciel des drones et qu’ainsi la régulation se fasse automatiquement.

Dans ces circonstances, qu’anticipe la chercheuse belge Antoinette Rouvroy, la contrainte du droit et des réglementations aurait tendance à s’appliquer directement sur l’environnement de l’individu, de sorte qu’il n’aurait tout simplement plus la capacité physique de transgresser une règle et n’aurait même plus vraiment connaissance de l’existence de cette contrainte. Tout serait pour le mieux… jusqu’au moment où l’on prendrait conscience de la privation de libre arbitre que cela implique à grande échelle. Dans un monde entièrement digitalisé et régi par les données, il n’y aurait alors pas d’autre issue que de nous échapper, en espérant trouver la sortie de secours du Truman show

Publié sur le Digital Society Forum