Et si après la musique et les films, nous pirations les objets ?

L’impression 3D pourrait bien faire aux objets ce que le MP3 a fait à la musique : donner à tous la possibilité de les dupliquer sans altération, de les modifier (remix, mash-up…) et de les partager. Le tout à l’infini et en toute impunité, sauf à croire qu’Hadopi ait pu enrayer ledit « piratage »… Il s’en suivrait probablement, comme pour la musique, un double phénomène : d’un côté, une explosion créative et une réappropriation démocratique du faire, et de l’autre côté, un cataclysme retentissant pour les fabricants d’objets, c’est-à-dire pour l’industrie, et donc assurément la Chine.

La numérisation des objets physiques inspire de nombreuses prophéties, parfois arrogantes, tel le slogan du dernier 3D Print Show à Paris : « Internet a changé le monde dans les années 1990. Le monde s’apprête à changer encore ». Internet et la vogue du « partage » ont déjà jeté sur le bas côté de la route bien des intermédiaires de l’industrie culturelle, mais aussi de l’hébergement et du transport… Alors pourquoi pas demain ceux de la production manufacturière ? S’il n’y a plus besoin d’un Universal pour produire un album, pourquoi faudrait-il forcément un IKEA pour fabriquer une chaise ?

Dans son nouveau livre, l’ex-rédacteur en chef de Wired, Chris Anderson, imagine la fabrication d’objets comme une sorte de « service cloud ». Individus, petites ou grandes entreprises pourraient, via une plateforme en ligne, accéder à une unité de production selon leurs besoins, leurs envies, leur localisation. Marx se serait dès lors trompé : « L’important n’est plus la propriété, mais la location des moyens de production ». La barrière à l’auto fabrication serait en train de tomber. Et nul doute que les fichiers 3D des objets physiques prolifèreront sur le Web comme les fichiers MP3 des albums de Lady Gaga, d’autant qu’il suffit de quelques secondes pour numériser un objet grâce à un scanner 3D.

Dans ce nouvel écosystème, les modèles économiques des constructeurs d’imprimantes et de scanners, des éditeurs de logiciels, des producteurs de matières premières sont assez évidents. Mais, comme pour les œuvres artistiques, quid du financement de la création ? D’autant qu’à l’instar de la copie privée pour les produits culturels, le droit nous autorise à reproduire des objets pour notre propre usage…

Deux professeurs de droit américains viennent de publier un essai sur l’impression 3D et la protection de la propriété intellectuelle. Jusqu’ici, la difficulté et le coût de la production physique d’un objet protégeaient de fait les constructeurs, à l’exception des problèmes de contrefaçons industrielles. L’impression 3D change totalement la donne. Selon eux, seules les marques fortement symboliques ou garantissant la qualité et la sécurité des produits, comme les plus importantes du secteur des jouets pour enfants, garderont de la valeur. A l’image du DCP (Digital Cinema Package) en cinéma, qui a normalisé la diffusion numérique, a assuré sa qualité et sa traçabilité, les producteurs pourraient être tentés d’encapsuler leurs fichiers 3D dans un package qui garantirait un certain contrôle de la fabrication : imprimable dans tels types de matières, sur tels types d’imprimantes, en telle quantité, etc. Ils pourraient aussi être tentés de raviver le spectre des DRM (Digital Right Management) pour freiner le partage (ou le piratage, selon le point de vue).

Rappelons-nous néanmoins, que dans le cas de la musique, c’est l’industrie du disque qui s’est écroulée , tandis que la production musicale, elle, a su évoluer. Qui sait si le Deezer des objets de demain ne nous vendra pas un jour des abonnements illimités à des catalogues d’objets à imprimer ? Il ne vous restera plus qu’à imiter Jack Black et Mos Def dans le film de Michel Gondry : soyez sympas, fabriquez…

Publié sur le Digital Society Forum