Et si l’on s’en sortait mieux tous ensemble ?

Le 13 novembre 2015, quelques minutes après la première explosion aux abords du Stade de France, les premiers tweets relatant les événements paraissent. Très vite, des témoignages écrits ou visuels de personnes à proximité affluent sur Facebook et Twitter. Vivre une attaque terroriste en direct, au travers d’amis ou d’anonymes sur place, a quelque chose d’inouï.

Un jeune supporter norvégien a ainsi publié cette vidéo Vine au Stade de France , dans laquelle on entend l’une des détonations (vue en tout 150 millions de fois). Un journaliste du monde a filmé, depuis son appartement, des victimes fuyant le Bataclan . L’une des victimes a même publié un statut Facebook, partagé près de 15 000 fois, depuis le Bataclan même : « Je suis encore au Bataclan. 1e étage. Blessée grave ! Qu ils donnent au plus vite l assaut. Il y a des survivants à l’intérieur. Ils abattent tout le monde. Un par un. 1e étage vite !!!! » (repris ici exactement tel qu’il a été publié).

Sur Twitter, des dizaines de milliers de tweets, avec le mot-dièse #AttentatsParis ou encore #FusilladesParis, ont relayé les événements en temps réel. Dès 22 heures, la nouvelle s’est internationalisée avec #PrayforParis et #ParisAttacks, submergés en quelques heures par plus de 7 millions de tweets de soutien et d’indignation. Si la télévision est, néanmoins, restée un réflexe d’information pour de nombreux français (3,5 millions de téléspectateurs ont regardé BFM TV et iTélé jusqu’à minuit et 2,4 millions jusqu’à 3 heures du matin), les réseaux sociaux ont été les donneurs d’alerte et un outil d’information et de relais pour tous, y compris les médias. Ce soir-là, celui qu’on a coutume d’appeler le « second écran » est probablement devenu le premier.

En plus d’informer, les réseaux sociaux ont aussi permis de prendre des nouvelles de proches, parfois en zone de danger, et de pouvoir échanger avec eux. Vers 1 heure du matin, Facebook a activé le « Safety check ». En 24 heures, 5 millions de personnes se sont déclarés en sécurité et 360 millions de personnes en ont été alertées. Si la plupart des internautes ont salué cette initiative, certains se sont sentis mal à l’aise : « un statut fait tout autant l’affaire », pouvait-on lire. On peut aussi s’interroger sur cette fonctionnalité, car si elle a permis de rassurer les proches de ceux qui allait bien, à aucun moment, elle n’a permis à ceux en difficulté de le notifier (on ne pouvait répondre que « Je suis en zone de sécurité »). C’est un peu comme le bouton « J’aime », sans possibilité de dire « Je n’aime pas », mais en bien plus grave.

Devant l’urgence et la gravité des faits, les internautes se sont rapidement mobilisés dans un élan de solidarité. Par exemple, le journaliste Sylvain Lapoix a crée le mot-dièse #PorteOuverte, après avoir lu de nombreux messages de détresse sur Twitter : « Une jeune femme s’était faite foutre à la porte d’un restaurant à côté du Bataclan et cherchait un abri. Une autre proposait à ceux perdus rue Oberkampf de venir se mettre à l’abri… ». Près de 300 000 tweets y sont publiés le soir du 13 novembre. Néanmoins, difficile de juger de l’efficacité de ce dispositif, car la plupart des messages sur ce fil parlait de l’initiative elle-même… Dans une démarche du même ordre, Airbnb a envoyé un mail : « À la lumière des événements récents à Paris, nous vous informons que nous allons annuler tous nos frais de service et permettre aux hôtes de proposer leur logement à titre gratuit », sauf qu’il est arrivé 24 heures après les attentats… Cette initiative de « gratuité » immédiate est née spontanément en 2012 de la part de quelques hôtes sur Airbnb, au moment de l’Ouragan Sandy à New York, et la plateforme l’a fait sienne pour la transformer en un service solidaire à l’échelle de tous ses membres.

Les réseaux sociaux ont également permis de faire front ensemble, alors qu’il était difficile de se retrouver physiquement dans la rue, comme ce fut le cas en janvier 2015. Les internautes ont changé leurs photos de profil, une action symbolique devenue un réflexe dans ces moments de mobilisation intense. Les profils ont d’abord affiché des images diverses pour marquer leur unité et leur soutien : blason de Paris, symbole Peace & Love avec la Tour Eiffel, carré noir, etc. Ce n’est que le lendemain que le filtre bleu-blanc-rouge propulsé par Facebook a fait mouche. Romain Ligneul, chercheur en neurosciences, a vivement réagi sur cette fonctionnalité, qui a mis de nombreuses personnes mal à l’aise, à la fois parce que se parer des couleurs nationales est loin d’être un acte fédérateur évident en France et ensuite parce que la suggestion de Facebook ressemblait plus à une injonction. « La tragédie actuelle donne l’occasion à Facebook de tester l’adoption, par ses utilisateurs, de comportements suggérés par l’entreprise elle-même, explique t-il, et les données obtenues peuvent servir à des tiers, gouvernements ou entreprises ». Il ajoute que ce n’est pas tant l’action individuelle mais le réseau social des individus qui est analysé : « Si j’ai choisi de ne pas souscrire à cette option, 21% de mes contacts l’ont fait. Cela signifie probablement que je ne suis pas farouchement anti-France. Une proportion de 70% suggèrerait un milieu social plus enclin au sentiment national voire au nationalisme politique, tandis qu’une proportion de 0% pourrait refléter l’appartenance à un milieu radicalisé… ».

Finalement, les interventions directes des plateformes de réseaux sociaux auront été au mieux symboliques, souvent anecdotiques, voire suspectes. Certains internautes ont même raillé sur Twitter les actions de solidarité des GAFA (le logo d’Apple aux couleurs de la France, le ruban noir de Google ou encore le filtre photo de Facebook) : « Merci, c’est gentil. Après, si vous pouviez payer vos impôts en France, on pourrait payer les policiers. Bisous. »

A y regarder de plus près, la population s’est organisée par elle-même, en utilisant les outils numériques à sa disposition. Pourtant, il y aurait énormément à faire, comme un service d’alerte « Attention, ceci est un hoax » par exemple, tant la désinformation inonde les réseaux sociaux dans ces moments-là, mais un tel service a sans doute peu de perspectives commerciales…

Qui, sinon la sphère des « communs », c’est-à-dire nous indépendamment des Etats et des entreprises, pourrait se saisir de ces sujets qui ignorent les frontières nationales et les logiques économiques ? D’autant que dans ce genre de moment, participer, se sentir utile, ressentir la présence des autres semblent vital. Surtout ne pas se sentir Seul au monde un soir pareil…

Publié sur le Digital Society Forum