Et si un autre monde était possible et même nécessaire ?

Le temps était lourd ce week-end, gonflé de cette tension caractéristique d’un orage qui tarde à éclater, comme un clin d’œil à tous ces événements qui annoncent un autre monde qui n’en finit pas d’arriver.

Le ciel nous tombera-t-il finalement sur la tête, comme l’annonce Paul Jorion dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » ? « On peut prévoir l’effondrement, mais on ne peut en prédire le moment » déclare-t-il sans ciller, lors d’une rencontre organisée, samedi dernier, à l’initiative du philosophe Bernard Stiegler et d’Ars Industrialis en présence également de Frédéric Lordon. La muse de Nuit Debout, qui se méfie tant de ces intellectuels qui voient des événements historiques partout, se laisse lui aussi gagner par un sentiment de bascule : « J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose qui brise l’ordinaire des choses ».

Michel Bauwens, le théoricien du pair-à-pair, reclus en ce moment dans le Wisconsin pour mettre à jour son manifeste « P2P and Human Evolution » a eu l’intuition de ce bouleversement il y a déjà dix ans. Il a alors étudié l’histoire des changements de civilisation : la chute de l’empire Romain, le passage de la féodalité au capitalisme, etc. A chaque fois, note-t-il, cela commence par une crise structurelle : le régime dominant n’arrive plus à améliorer le sort de ses habitants et finit par perdre toute légitimité. En réaction à cette crise, la population adopte de nouvelles pratiques en marge du système. Petit à petit ces pratiques forment un sous-système qui entre en conflit avec le pouvoir en place. Puis le sous-système finit par faire système en le débordant par les côtés.

Cependant, il n’est pas simple de discerner l’important de l’anecdotique lorsqu’on analyse sa propre époque, difficile d’éviter les effets déformants et les aveuglements idéologiques. Il y a quand même quelques constantes dans les diverses analyses des experts ès changement : un système qui devient plus horizontal et se décentralise avec une pratique du pair-à-pair facilitée par le numérique et l’ouverture des données ; des valeurs qui s’ancrent dans l’immatériel (bonheur, reconnaissance, don, utilité, sens, religion…) et un élan vers les communs et une nouvelle forme de collectif qui s’appuie sur l’affect et le relationnel et non sur des conventions établies comme la famille, les classes sociales, l’ancrage géographique.

« L’appartenance commence par l’affect, elle ne procède pas d’un contrat » confirme Frédéric Lordon, en se référant à Spinoza : « l’affect commun par lequel la multitude vient à s’assembler », tout cela ne serait donc pas vraiment nouveau. C’est également l’avis de Michel Bauwens qui établit des parallèles avec les sociétés précapitalistes : nous tendrions vers… (lire la suite sur le Digital Society Forum)