L’économie collaborative est-elle raciste ?

Sexiste, raciste, homophobe, anti-vieux… Alors même qu’elle se veut porteuse d’un idéal de vivre ensemble, l’économie collaborative peut parfois devenir le théâtre de discriminations décomplexées. La faute aux utilisateurs ou aux plateformes ? Comment ces dernières réagissent-elles face à la froide réalité de la dérive communautariste ? Bref, l’économie collaborative est-elle le royaume de l’entre-soi ? Usbek & Rica a mené l’enquête.

Dans le train Marseille-Paris, Nouredine partage ses expériences sur les plateformes collaboratives avec d’autres passagers : « Je suis un grand utilisateur d’Airbnb et BlablaCar, de quoi rassurer les loueurs. Pourtant, je reçois en moyenne 50% de réponses négatives sur Airbnb, au prétexte que l’appartement serait finalement « occupé ». Sur BlablaCar, c’est bien pire : pour un trajet Marseille-Montpellier, j’ai reçu près de vingt refus. En utilisant le profil de ma copine (qui a un nom à consonance française, ndlr), j’ai été accepté à ma première demande…  Est-ce parce que c’est une fille ou bien parce que je m’appelle Nouredine ? Peut-être un peu des deux, mais je ne me fais pas trop d’illusions, je connais plusieurs personnes dans mon cas. ».

La lecture des commentaires d’un article de L’Express à propos d’une adolescente voilée refusée par un chauffeur BlablaCar est instructive. Beaucoup formulent des propos racistes, d’autres défendent la liberté de choisir, quelques-uns, enfin, apportent des témoignages supplémentaires, comme Françoise : « J’avais sollicité les services de BlablaCar pour ma mère, âgée de 85 ans : que des réponses négatives ! Une heure plus tard, j’ai remis la même annonce en changeant l’âge de la passagère : 25 ans. Aussitôt, j’ai eu un afflux d’offres ! »

En 2016, plusieurs scandales liés à des comportements racistes ont mis à mal l’image d’Airbnb. Et un nombre encore restreint mais croissant d’études démontrent l’existence de discriminations sur les plateformes collaboratives.

Tu ne discrimineras point

En France, la discrimination est condamnable lorsqu’une personne subit un traitement défavorable dans un domaine protégé par la loi, comme l’accès au logement, à l’emploi, à un service, etc., en raison de critères comme le sexe, la religion, le patronyme ou l’âge (il existe en tout vingt-deux critères).

Aussi, se voir refuser l’accès à un logement parce qu’on s’appelle Nouredine est aussi illégal sur Airbnb que dans une agence immobilière, comme l’illustre le récent scandale auquel a été confronté Laforêt Immobilier : « Attention, important pour la sélection des locataires : nationalité française obligatoire, pas de Noir ». Autre scandale récent : celui d’une étudiante nigériane qui s’est vue refuser un logement sur Airbnb, et insulter, en raison de sa couleur de peau.

Cependant, contrairement aux agences immobilières, peut-on rendre responsable les plateformes des agissements de leurs utilisateurs ? Dès lors qu’elles ne se rendent pas activement complices, on peut raisonnablement penser que non, estime Denis Broussolle, professeur émérite de droit public à l’Université de Bourgogne : « Ces plateformes font essentiellement du courtage. Comme les agences matrimoniales, elles se contentent de mettre en rapport des parties qui ne se connaissaient pas, qui contracteront ou ne contracteront pas. Elles ne s’engagent pas sur la lune de miel et l’exécution du contrat. Les agences immobilières, elles, ont les clefs et un mandat, elles représentent leurs clients, négocient et parfois concluent pour eux. Mais les plateformes dépassent parfois le courtage passif : fixation des prix, encaissement et reversement des paiements, elles transmettent toutes des informations. Quid si elles sont mensongères ou illégales ? La justice pourrait avoir du travail… ».

« Les recours collectifs ont été la seule manière efficace de prouver qu’il existait une discrimination systémique et d’y remédier »

Aux Etats-Unis, une class action lancée en mai 2016 contre Airbnb pour discrimination aurait pu faire jurisprudence. Cependant, le plaignant a été débouté en raison de la clause de renonciation inscrite dans les conditions générales de la plateforme, qui la prémunit contre ce genre d’action. « Les recours collectifs ont été la seule manière efficace de prouver qu’il existait une discrimination systémique et d’y remédier, parce qu’on ne peut pas prouver qu’il existe un schéma comportemental si on se base uniquement sur des dossiers individuels », a alors déploré Joanne Doroshow, spécialiste en justice civile aux Etats-Unis.

Les plateformes, nouveaux observatoires des discriminations

Plusieurs études mettent en lumière une discrimination systémique sur les plateformes. Celle réalisée à partir d’un an de données collectées sur le site de BlablaCar, par trois chercheurs en économie de l’ESC Rennes, l’université Rennes 1 et l’université de Caroline du Nord, a montré « que les conducteurs ayant un nom à  »consonance arabe ou musulmane » ont une probabilité significativement plus faible d’attirer des passagers que des conducteurs ayant un nom à  »consonance française » et affichent par conséquent des prix plus bas ».

Le témoignage de Maître Vidya Burquier, avocate au barreau de Marseille va dans le sens des résultats de cette étude : « J’ai réservé un voyage Madrid-Marseille sur Blablacar. Le conducteur d’origine maghrébine m’a expliqué pendant le trajet qu’il avait beaucoup de difficultés à remplir sa voiture et qu’il transportait pour l’essentiel et sans intention particulière des passagers issus de la même communauté que lui… » Autre témoignage éloquent, celui de Nouredine : « Si je regarde l’historique de ceux qui m’ont pris sur BlablaCar avec mon compte, neuf fois sur dix, ils sont issus de l’immigration ».

Une autre étude, publiée par la Harvard Business School à l’été 2016, a révélé que les utilisateurs d’Airbnb ayant un nom à consonance afro-américaine ont environ 16% de chances en moins d’avoir une réponse positive à leurs requêtes que ceux qui ont un nom à consonance blanche. Ce taux est constant, que les hôtes soient noirs ou blancs, hommes ou femmes, professionnels ou particuliers, que le logement soit partagé avec l’hôte ou non. La seule variable qui fait disparaître les discriminations, c’est le fait que les hôtes aient déjà reçu par le passé des personnes de couleur…

Noirbnb et MisterB&b

Certes, les plateformes collaboratives… (lire la suite sur Usbek et Rica)