Et si c’était la Chine plutôt que les Etats-Unis qui nous mangeait tout cru sur Internet ?

A quelques jours de son introduction à la bourse de New York, Alibaba, le leader chinois du commerce électronique, fait trembler les géants d’Internet. Alibaba, pour faire simple, correspond à Amazon et Ebay réunis, mais en beaucoup plus rentable.

En entrant au NASDAQ, Alibaba (voir la plateforme française d’Alibaba) compte lever une vingtaine de milliards de dollars, ce qui ferait monter sa valorisation boursière au même niveau que celle d’Amazon, soit 160 milliards de dollars ! Jack Ma contre Jeff Bezos, les patrons respectifs d’Alibaba et d’Amazon : l’affiche est digne d’un match de catch.

D’autres tech companies chinoises viennent braver la domination américaine : Baidu face à Google, Tencent face à Facebook/Twitter, Huawei, Xiaomi et Lenovo face à Apple, Microsoft…

Les occidentaux ont pris l’habitude de voir l’économie chinoise comme une pâle copie discount de l’économie occidentale, alors que non seulement la Chine monte en gamme, mais qu’en plus elle est à présent en capacité d’innover.

Aujourd’hui, Huawei est le troisième constructeur mondial de smartphones, et son nouvel Ascend P7 coiffe Apple au poteau en intégrant un écran en saphir synthétique, réputé inrayable. Baidu répond aux lunettes connectées de Google avec Baidu Eye… Enfin, il serait plus juste de parler de serre-tête ou de tour de cou connecté : la version chinoise ne comporte en effet pas d’écran, préférant utiliser celui du smartphone via une application dédiée. WeChat, le Whatsapp chinois, propriété de Tencent, a largement dépassé sa fonction première de messagerie : les utilisateurs jouent, gèrent leur compte bancaire ou même cotisent pour leur assurance santé avec l’application.

Les vélléités des acteurs numériques chinois sur la scène internationale sont réelles. Alibaba vient d’ailleurs de lancer un site pour les Etats-Unis, baptisé 11 main, et Huawei a clairement une stratégie de conquête des marchés internationaux, notamment européens. Mais pour la plupart, leur première assise économique et leur priorité restent le marché chinois.

Nous assistons finalement à une bataille féroce : c’est entre eux que les leaders du numérique chinois se battent, mais leurs coups résonnent dans le monde entier. Si Alibaba cherche à lever des fonds à New York, c’est essentiellement pour financer sa riposte, Baidu et Tencent s’étant récemment alliés à Wanda, une plateforme concurrente d’Alibaba. Et si Baidu a racheté IndoorAtlas, une société finlandaise innovante, qui utilise le champ magnétique terrestre afin de localiser un téléphone à deux mètres près, à l’intérieur même des immeubles, c’est pour prendre l’ascendant dans l’Internet mobile chinois face à Alibaba.

Ces sociétés chinoises atteignent aujourd’hui des capitalisations boursières qui leur permettent d’acquérir les innovations au fur et à mesure qu’elles apparaissent et, ce faisant, elles font progressivemennt basculer le centre de gravité de l’économie numérique de l’Ouest vers l’Est. Bientôt Baidu, Alibaba, WeChat… seront aussi populaires et globaux que Google, Amazon ou Facebook. Ils engrangeront des abonnés dans le monde entier.

Les géants des nouvelles technologies, qu’ils soient américains, européens ou japonais, commencent peut-être à regretter d’avoir si massivement transféré leur production et leur savoir-faire en Chine… L’effet boomerang était prévsible.

Il leur reste peut-être une carte à jouer sur le terrain politique et idéologique pour maintenir les tech companies chinoises à distance : celle de la censure omniprésente du régime chinois sur Internet. Mais après les révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage systématique de la NSA, cet argument risque de faire pschitt…

Regardons la réalité en face : après avoir été abondamment nourris par la Silicon Valley, nous allons bientôt manger du poisson nommé Wanda et toute la ménagerie. Nous devrons juste nous rappeler qu’« il vaut mieux éviter les verts. Ils ne sont pas encore mûrs »…

Publié sur le Digital Society Forum