Et si partager nos vacances en ligne nous gâchait les vacances ?

« Attends, je prends une photo »… Les photos de vacances, bien sûr, ce n’est pas nouveau. Rappelons-nous les clichés argentiques : poses figées devant les monuments, cadres ratés, yeux rouges ou à moitié fermés, qualité floue non artistique… Et au retour, les soirées diapos interminables, au cours desquelles des amis prennent un plaisir presque sadique à prouver par l’image qu’ils ont passé de meilleures vacances que les autres, contant mille anecdotes qui finissent par faire bailler tout le monde.

L’arrivée des photos et caméras numériques a décuplé le degré de torture de ces soirées : ce ne sont plus des dizaines, mais des centaines de photos à supporter ! Si les nouveaux appareils évitent les yeux rouges et détectent les sourires ultra-brite, le cadrage ou l’intérêt des photos ne se sont, eux, pas forcément améliorés. Deux conseils pour garder ses amis : opter pour la technique du flicker en enchaînant 1 000 photos en 1 minute 30, le tout sur une musique bien choisie… Ou, pour les amateurs de vidéos, passer ses films de vacances en mode accéléré, comme la géniale bande annonce du film Socialisme de Jean-Luc Godard.

Mais heureusement, aujourd’hui nous avons les réseaux sociaux ! Et grâce à eux, nous partageons nos photos en direct, au fil de l’eau et des aventures, comme un carnet de bord. C’est plus digeste et en plus c’est interactif : nos amis peuvent commenter, adorer, s’indigner ou se moquer. Et ils ne s’en privent pas. Avec le développement de l’Internet mobile, cet échange permanent est devenu essentiel à la réussite de nos vacances. Des vacances déconnectées ? L’angoisse ! Non, il faut afficher son bonheur en ligne, mais aussi ses galères, récolter un maximum de « like » et de commentaires. Aujourd’hui, grâce à Facebook, nous partons virtuellement en vacances avec tous nos amis, et nous vivons les vacances de nos amis à distance.

Mais ce partage est devenu tellement présent, qu’il nous empêche d’être tout à fait là où nous sommes, au moment où nous y sommes, avec les personnes qui nous accompagnent. De ce fait, nous n’arrivons plus à déconnecter et à nous ressourcer au contact d’un autre environnement, ce qui est normalement l’objectif des vacances…

A force d’être à l’affût de ce que nous pourrions prendre en photo ou en vidéo en vue de le partager et de le commenter, nous finissons par passer complètement à côté de nos vacances. Pire, nous les vivons par le prisme du regard de nos amis. Nous avons besoin de leur validation comme le suggère Dominique Cardon dans La Démocratie Internet. Comment ne pas ressentir un malaise face à une telle injonction de partage ?

Nous sommes peut-être en train de muter ou de développer un super pouvoir d’ubiquité, celui d’être à la fois ici et ailleurs, de réunir des personnes distantes dans un espace construit, entre réel et virtuel. Mais le problème, avec l’ubiquité, c’est qu’à force d’être à plusieurs endroits à la fois, on finit par être réellement nulle part.

Nous souffrons de phubbing, un mix de phone et de snubbing (snober), une attitude devenue très commune qui consiste à snober ceux qui sont à côté de nous au profit de ceux qui sont à distance, en étant rivés sur nos mobiles. Nous signifions ainsi de façon très vexante pour notre entourage que ce qui se passe sur le téléphone est plus important que ce qui se passe en face de nous.

Mais finalement, est-ce vraiment de notre faute ? On nous a mis ces outils incroyablement puissants et addictifs entre les mains et personne ne nous a expliqué comment se comporter avec… Par exemple, personne ne nous a dit de l’éteindre pendant nos vacances, au moins pendant une partie de celles-ci, histoire de nous échapper un peu de notre quotidien et de vivre un moment d’intense liberté, sans fil à la patte, bref de passer des vacances romaines !

Publié sur le Digital Society Forum

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