Et si Facebook nous rendait un peu de contrôle pour mieux assurer sa domination ?

Partager ou aimer un contenu est devenu un geste immédiat et sans couture sur Internet grâce aux réseaux sociaux. Il suffit d’être connecté(e) à son réseau et de cliquer sur un bouton. Rien ne nous est précisé sur les données personnelles que nous dévoilons aux sites tiers au cours de cette action. En revanche, avant la connexion à une application via notre compte Facebook, Twitter, Google +…, un avertissement s’affiche.

Il est toujours aussi effarant de lire que pour jouer, par exemple à Candy Crush, nous devons accepter que l’application récupère notre liste d’amis ou notre carnet d’adresse et que des informations soient publiées en notre nom. C’est à prendre ou à laisser. En outre, si nous souhaitons révoquer le lien entre notre profil et le jeu, les informations données, comme l’adresse email, restent bel et bien dans leur bases.

L’affaire Snowden et l’utilisation du Big Data comme outil publicitaire commencent à nous faire prendre conscience de l’ampleur du pillage et de ses dérives sécuritaires ou commerciales. Le philosophe Bernard Stiegler, lors de son intervention, il y a quelques jours, au OuiShare Fest 2014, un événement sur l’économie collaborative, nous poussait à ne plus être dupes : « Pensez-vous que les Facebook et Google utilisent les données pour améliorer le fonctionnement de l’écosystème, comme les phéromones permettent de réguler une fourmillière, ou bien pour optimiser leur chiffre d’affaires ? ».

Dans ce contexte de défiance et de désillusion, qu’Eric Scherer, prospectiviste, décrit comme « une triste mais classique période post-révolutionnaire », l’annonce récente de Facebook de nous permettre de nous connecter de façon anonyme et de décider des données personnelles que nous acceptons de transmettre, peine à convaincre. Difficile de croire Mark Zuckerberg lorsqu’il précise qu’il a entendu les craintes des utilisateurs et leur volonté de mieux contrôler leurs données. Où est l’avantage de Facebook dans tout ça ?

Premièrement, la connexion anonyme ne l’est pas pour Facebook, qui garde ainsi de manière exclusive la traçabilité de l’ensemble de nos actions et ce, de façon nominative. En outre, donner la possibilité de l’anonymat et du contrôle de nos données devraient nous rassurer et nous encourager à connecter plus souvent notre profil Facebook aux applications mobiles. Il s’agit donc d’un renforcement de la position dominante de Facebook vis-à-vis des tiers et au bout du compte d’une augmentation du tracking des individus.

Deuxièmement, comme par hasard, au même moment Facebook annonce l’extension de son réseau publicitaire sur mobile en dehors de ses frontières. Baptisé le FAN pour Facebook Audience Network, il est en test aux Etats-Unis sur des applications partenaires comme le Huffington Post ou le jeu Cut the Rope. A partir des données personnelles collectées auprès de ses utilisateurs, Facebook affiche en temps réel des publicités ciblées à l’intérieur même des applications. Applications que nous avons installées sur nos téléphones et que nous avons connectées d’une façon ou d’une autre à Facebook (login, like, share) et que nous connecterons de plus en plus en toute confiance grâce au login anonyme…

D’un côté, cela permet à Facebook de limiter l’affichage de publicités sur les profils de ses membres, souvent mal vécu, en les affichant ailleurs. De l’autre côté, Facebook monte en puissance sur le marché publicitaire mobile dominé par Apple et Google.

Ainsi, en une seule opération, Facebook fait un geste envers la protection de la vie privée de ses utilisateurs pour en définitive doper le tracking et s’octroyer une plus grande exclusivité sur les données personnelles, le tout afin de prendre une position forte sur le marché de la publicité mobile. Elémentaire mon cher Watson.

A lire les articles sur le Web traitant soit de l’anonymous login de Facebook, soit de son in-app mobile ad network, cloisonnant les informations et évitant soigneusement de trop s’interroger sur le fond, je me demande si nous ne sommes pas devenus aussi naifs et naives que le professeur Abronsius, dans le Bal des vampires qui « ne se doutait pas qu’il transportait dans son traineau un couple de ces créatures maléfiques », ou si nous ne sommes pas aussi aveuglé(e) que son jeune assistant Alfred, qui se laissa vider de son sang dans un baiser mortellement amoureux.

Publié sur le Digital Society Forum