Et si Jeff Bezos devenait auto-entrepreneur ?

Jeff Bezos, le fondateur et inflexible CEO d’Amazon, vient d’annoncer un plan de recrutement massif de nouveaux robots manutentionnaires pour atteindre 10 000 unités d’ici la fin de l’année. 1 000 de ces « R2D2 » oranges arpentent déjà les immenses entrepôts d’Amazon afin d’apporter les étagères où sont rangés les produits commandés par des clients à des humains chargés de les emballer. A voir tous ces robots tournicoter, avancer, reculer, glisser sans jamais se toucher, on croirait voir un tétris géant.

La robotisation du travail chez Amazon, selon Jeff Bezos, n’aurait aucune incidence sur l’emploi des humains. Pourtant, à regarder les « pickers », ces travailleurs humains chargés d’emballer les commandes, on peut légitimement se poser des questions sur la valeur ajoutée d’un humain dans ce type de job : prendre un produit sur l’étagère, le mettre dans un paquet, fermer le paquet ; prendre un autre produit, le mettre dans le même paquet, fermer le paquet, etc. Il y a fort à parier que tout ce qui pourra être automatisé, à Amazon, le sera effectivement. Faut-il se désoler du transfert des emplois à la chaîne vers des robots ? Intellectuellement, non. Socialement, il y a débat.

Avec l’automatisation et la robotisation du travail, on peut fabriquer un même produit ou gérer un même service avec moins de personnes. « 70 % des emplois d’aujourd’hui seront remplacés par l’automatisation » affirme Kevin Kelly dans Wired. Les classes moyennes sont et seront violemment touchées explique Paul Krugman, prix nobel d’économie. Même les métiers les plus intellectuels sont en ligne de mire : « Dans les grandes entreprises américaines, les algorithmes sont en train de remplacer les doctorants, statisticiens… », rapporte le journaliste économique Alain Sherter. Et la création de nouveaux métiers ne semble pas en mesure de compenser les destructions d’emplois.

Le principal défi réside « dans le déplacement de la production de la prospérité à la distribution de la prospérité », explique l’économiste Brian Arthur. En effet, si l’économie numérique semble bel et bien le moteur de la création de richesse des décennies à venir, il va falloir imaginer une autre solution que celle du travail rémunéré pour la distribuer. Les tensions actuelles entre les habitants de San Francisco et les jeunes « techies » de la Silicon Valley illustrent bien la montée des inégalités. Et la réponse des pontes de la Valley laisse rêveur : « Lorsqu’une entreprise se calcifie, on ne la réforme pas, on la quitte pour créer sa propre entreprise. Pourquoi ne pas faire la même chose avec l’Amérique ? », clame publiquement Balaji S. Srinivasan, professeur à Stanford, dans la droite ligne des propos sécessionistes de Larry Page, cofondateur de Google.

« Jusqu’où irez-vous ? », nous demandait Microsoft il y a 15 ans. Probablement plus loin qu’on ne peut encore l’imaginer. L’institut américain Allen travaille sur une intelligence artificielle baptisé LEVAN pour « Learn EVerything about ANything » (Tout apprendre sur tout, rien que ça…). LEVAN utilise les ressources du Web pour se former, elle détermine des concepts à partir de ce qu’elle lit et les croise avec des recherches images. Elle est ainsi capable de comprendre que « Mohandas Gandhi » and « Mahatma Gandhi » sont la même personne. Merci Google images.

Les intelligences artificielles de l’avenir sauront sans aucun doute sélectionner les bons produits sur les étagères d’Amazon, les emballer étant déjà à la portée de n’importe quel robot un peu dégourdi. A ce rythme-là, Jeff Bezos devrait se retrouver dans une dizaine d’années à la tête d’une entreprise entièrement robotisée, aussi seul qu’un auto-entrepreneur en somme.

Mais les Jeff, Larry, Mark (Zuckerberg) ou encore Tim (Cook) auraient bien tort de croire leur job à eux épargné par ce mouvement d’automatisation qu’ils vénèrent tant. Les patrons seront aussi remplacés par des robots. D’ailleurs, ça a déjà commencé ! Le premier « robot » patron vient d’être nommé au conseil d’administration de Deep knowledge ventures, une société Hong-kongaise d’investissement en capital risque. Voilà en quelque sorte une belle démonstration de La classe américaine… ou comment on s’est tous retrouvés en vacances à durée indéterminée.

Publié sur le Digital Society Forum