Et si le mobile aidait à réduire les inégalités entre hommes et femmes ?

En Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud, les femmes ont en moyenne 21% de chances de moins que les hommes de posséder un téléphone portable. Dans ces régions du monde, le mobile s’affirme pourtant comme un canal clé pour l’éducation. Favoriser l’usage des mobiles auprès des femmes permettrait dès lors de leur donner un plus large accès à l’éducation, et par conséquent de réduire les inégalités hommes/femmes. Voilà l’analyse et le pari que font l’UNESCO et UN Women, coorganisateurs de la semaine de l’apprentissage mobile, qui s’est tenue à Paris fin février.

Mais les smartphones et la 3G n’étant pas légion dans les zones les plus défavorisées du globe, comment transmettre des savoirs par téléphone ? La créativité des initiatives présentées est convaincante, même avec un mobile basique. Love matters, un service mobile, répond sans tabou à des questions sur l’orgasme, la contraception ou la prévention SIDA. Coach Tumi, en Afrique du Sud, a accompagné un programme de sensibilisation au Sida en envoyant des conseils par SMS et USSD. Au Niger, le service English teacher aide les professeurs d’anglais en leur envoyant chaque jour une idée de cours par SMS, des contenus, des quiz. En Afrique du Sud, sous l’impulsion d’étudiants, Wikipédia a obtenu des opérateurs mobiles qu’il n’y ait pas de facturation data pour la création de contenus sur l’encyclopédie en ligne, etc.

Tous ces services ont rencontré un succès au-delà des ambitions de départ. Le mobile se révèle être un outil efficace, en particulier dans les zones rurales et dans les cas de déscolarisation précoce. Il peut apporter une solution au manque d’infrastrutures culturelles. S’il on compte au Royaume-Uni une bibiliothèque pour 15 000 habitants, au Niger le ratio n’est que d’une pour 1,35 million… D’où l’importance de la lecture sur mobile, qui a été testée et appréciée au Niger lors d’un programme de l’UNESCO.

Cette semaine de l’apprentissage mobile a permis de célébrer toutes ces expériences réussies, mais elle a aussi soulevé des questions. D’abord, l’enthousiasme général et le happy technology spirit ne doit pas cacher la situation déplorable des femmes dans le monde.

De nombreux intervenants ont insisté sur l’importance d’inclure les hommes dans la démarche d’égalité entre les sexes. En effet, les hommes étaient les grands absents de cet événement, tant sur scène – ce qui nous change de l’habitude il faut bien le dire ! – que dans les sujets de discussion. Anne Githuku-Shongwe, de la société Afroes, a développé un jeu vidéo pédagogique s’adressant aux adolescents comme aux adolescentes, visant à leur faire comprendre ce que recouvrent les violences faites aux femmes. Ella a constaté que l’agressivité, le harcèlement, les rapports de force, etc., étaient considérés comme allant de soi pour les jeunes garçons avant qu’ils ne jouent, ce jeu ayant provoqué chez beaucoup d’entre eux un vrai déclic.

L’UNESCO concentre en priorité ses actions sur les femmes, les professeurs et les dirigeants politiques. La culture religieuse et ses institutions n’ont pas vraiment été abordées, alors que leur influence sur la situation des femmes est majeure dans de nombreux pays. Comme l’a exprimé, lors d’une des tables rondes, Urvashi SAHNI de la fondation Study Hall : « Transmettre des compétences aux femmes ne suffit pas, encore faut-il s’assurer qu’elles aient le droit et la possibilité d’en faire usage ».

Michelle Thorne de la fondation Mozilla, s’interroge, de son côté, sur la façon de rendre pérennes des programmes d’éducation trop souvent ponctuels. La réponse tient sans doute pour partie dans le montage des projets. Ils se construisent majoritairement sur l’opportunité de partenariats avec des multinationales, comme Nokia, Ericsson, Intel, Microsoft… et rarement sur la base de programmes politiques. C’est aussi l’analyse (entre les lignes) de Fengchum Miao, le responsable TIC et éducation à l’UNESCO, qui déplore que l’on s’inquiète trop souvent du matériel avant de se poser la question de l’objectif attendu en matière d’éducation.

Un autre point clé est ressorti des discussions ; il est résumé par Sheila Esque, la Vice-présidente d’Intel : « Il ne faut pas uniquement apprendre aux femmes à se servir de la technologie, il faut aussi qu’elles deviennent créatrices des technologies qu’elles utilisent ». Et ce problème n’est pas uniquement celui des pays en développement, émergents, pauvres, du Sud, etc. Globalement, dans le monde merveilleux des technologies, les femmes sont largement minoritaires rapporte une étude récente de la Commission européenne. Et, s’indigne Doreen Bogdan, de l’Union Internationale des Télécommunications : « Parmi les 100 plus grandes entreprises technologiques du monde, 6 seulement sont gérées par des femmes ! ».

Selon Janice McCabe, sociologue à l’Université de Floride, la sous-représentation des femmes et du féminin dans la production culturelle pourrait contribuer à un sentiment de dévalorisation chez les filles et de privilège chez les garçons. Elle a étudié près de 6 000 livres pour enfant parus entre 1900 et 2000 et a montré une inégalité de traitement flagrante et constante pendant un siècle : un tiers des personnages principaux sont du genre féminin et moins d’un quart de ces personnages travaillent… Et dans le royaume des animaux, les inégalités explosent : deux fois plus de mâles que de femelles… La technologie ne peut pas protéger à elle seule les femmes de la loi de la jungle ; il faudrait déjà qu’elles aient un vrai rôle à jouer dans son livre !

Publié sur le Digital Society Forum.

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