Et si travailler en marchant était le futur de la mobilité

C’est scientifiquement prouvé : nous avons deux cent millions de neurones dans l’estomac, soit autant qu’un cerveau de chat ! Cette découverte rend tout aussi ridicule le fait de placer notre intelligence dans le cerveau que de penser que l’amour provient du cœur. Nous vivons plutôt une époque moniste, où l’esprit semble indissociable du corps, ce qui contredirait autant le dualisme cartésien que pas mal de croyances religieuses. Chacun est libre, bien sûr, de ses convictions quant à cette question épineuse qui traverse la philosophie depuis ses origines. Le temps de son existence sur terre, l’être humain n’en reste pas moins un bipède incarné.

Les transhumanistes n’ont pourtant de cesse de vouloir s’échapper de ce corps, et ce, de son vivant. Ils le réduisent à un système mécanique, à un ensemble de capteurs et de réseaux de communication. Ils cherchent dans un premier temps à l’augmenter par la technologie et la biotechnologie, à le façonner pour le rendre plus performant. En poussant la logique plus loin, ils perçoivent le corps comme notre maillon faible : le corps tombe malade, le corps vieillit, le corps meurt et nous entraîne avec lui. Il faudrait donc s’émanciper du corps pour ne plus mourir. Les transhumanistes le traitent tel un vaisseau dont nous pourrions nous extraire. Leur rêve, que beaucoup croient atteignable, serait même de télécharger notre cerveau dans une machine, comme dans Transcendance, film de science-fiction sorti récemment. Mais dès lors que la science démontre que ce qui pense, c’est tout notre corps et pas simplement notre cerveau, que pourrait donc signifier une existence ainsi désincarnée ? N’y aurait-il pas diminution plutôt qu’augmentation de l’être humain ? Et de quoi serions-nous ainsi diminués ?

Sans aller jusqu’à cet extrême transhumaniste, le mouvement de l’auto-mesure favorise la distanciation d’avec le corps. Nous l’analysons en effet par le prisme de données que nous collectons grâce à une ribambelle d’objets connectés : battements du cœur, température, masse musculaire, etc. Plus ça va, plus nous nous reposons sur ces nouveaux médias qui s’immiscent entre notre conscience et notre corps. Petit à petit, nous faisons plus confiance à ces capteurs numériques qu’à nos propres sens.

D’autre part, nous nous entourons d’outils technologiques qui limitent volontairement notre activité physique. Internet n’a pas fait que réduire les distances, il a aussi réduit nos déplacements. Nous passons la majorité de notre temps éveillé assis devant un écran, à travailler ou à nous détendre. Certes, nous agitons encore nos doigts sur des claviers, comme je le fais en ce moment même, mais grâce aux développements stupéfiants de la reconnaissance vocale, nous allons bientôt les laisser s’engourdir, eux aussi.

Il est amusant d’observer que, d’un côté, ces outils réduisent notre activité physique, tandis qu’ils nous poussent, de l’autre côté, à faire 10.000 pas par jour, à courir plus longtemps que nos amis, à scruter notre forme physique en continu… Nous avons des outils dits mobiles (téléphones, tablettes, objets connectés), et pourtant nous souffrons d’une inactivité physique flagrante, en partie responsable de nombreux maux, parmi lesquels l’obésité et les maladies cardio-vasculaires. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la prévalence de l’obésité a pris des proportions épidémiques à l’échelle mondiale. En France, près de 15 % de la population adulte serait obèse, et environ un tiers en surpoids.

Ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, redevenir cohérents avec notre réalité biologique, et donc arrêter ce déni du corps, ce déni d’être ? Car en restant assis des heures sans bouger devant un écran, nous nous plions à la réalité de la machine et rejetons la nôtre. L’être humain est par essence un bipède qui se meut. Demandons-nous combien de temps un enfant peut tenir assis sans bouger…

Benoit Pereira da Silva, un programmeur informatique, a décidé de remédier à cette situation en se mettant à travailler en marchant, un mouvement lancé aux Etats-Unis par l’endoctrinologue James A. Levine. Il a réhaussé sa station de travail et a remplacé son siège par un tapis roulant. Il marche 20 à 30 km par jour tout en activant ses neurones et ses doigts sur le clavier. Il calcule son chiffre d’affaire au kilomètre, il a gagné en productivité, il dort mieux, il a perdu 25 kilos et surtout il a réhabité son corps. Et c’est ça, nous affirme-t-il, qui a tout changé.

Pour nous faire prendre conscience de la situation dramatique que génère notre sédentarité excessive, il a même décidé de travailler en marchant dehors, il a conçu, pour l’occasion, une station de travail portable avec le soutien de Withings. A n’en pas douter, comme dans Gerry, il n’y a de salut que pour celui qui marche.

Publié sur le Digital Society Forum – 05/11/2014