Montre nous ton frigo !
Que nous disent les récentes évolutions des réseaux sociaux sur notre façon de communiquer ? Lancement automatique des vidéos dans Facebook, 350 millions de photos téléchargées chaque jour, explosion des autocollants (stickers) dans Viber, intégration des photos dans Twitter, image éphémère sur Snapchat, etc. Qu’ont en commun les réseaux sociaux apparus au cours des cinq dernières années, comme Instagram, Snapchat, Pinterest, Vine, Viber, Whatsapp… et très récemment Meerkat ou Periscope… ? L’image y est centrale.
La photo, que nous ressortions de temps à autre de nos albums souvenirs, s’inscrit aujourd’hui dans un flux continu, un récit quotidien de nos vies. Avec la généralisation des smartphones, l’image est devenue connectée et se diffuse en temps réel ou presque. Ce n’est plus tant sa dimension esthétique qui prime, mais sa capacité à raconter notre quotidien et à s’intégrer dans nos discussions numériques. La conversation par l’image, voilà le bouleversement majeur dont témoignent les réseaux sociaux.
« Plutôt que des conversations à propos des photos, le Web a favorisé des conversations avec les photos », écrit le sociologue Dominique Cardon (Orange Labs). Les images sont les contenus les plus « likés », commentés, partagés… Elles sont le point de départ de discussions, mais aussi une réponse en soi, une phrase, une composante du langage, analyse le chercheur André Gunthert (EHESS), qui parle d’image conversationnelle. Selfie contre selfie, photo de weekend les pieds dans l’eau contre cliché d’Arthur H. en concert, nous nous répondons, non plus uniquement en utilisant des mots, mais en témoignant visuellement de notre environnement, de notre humeur. Plus rapide que l’écrit et plus ouverte à l’interprétation, l’image permet à l’autre de voir directement à travers nos yeux. Serions-nous en train de toucher du doigt ce fantasme télépathique, celui de ne pas avoir besoin de se parler pour se comprendre ?
Dans ce contexte, l’arrivée tonitruante du streaming vidéo en direct sur les réseaux sociaux s’annonce passionnante. L’application Meerkat lancée mi-mars au festival high tech South by Southwest, suivi du lancement de Periscope par Twitter, a enflammé le microcosme numérique. Longtemps l’engouement pour la vidéo a été limité par la complexité de son usage (montage, gestion du son, poids…). La photo se révélait beaucoup plus efficace pour s’intégrer dans les conversations et la vidéo restait un programme fini, à consommer tel quel, comme sur Youtube ou sur Twitch. Vine et Instagram Vidéo rencontrent certes un certain succès, mais restent proches de la photo (vidéo de quelques secondes ou succession de très courtes vidéos en boucle). Le développement du streaming vidéo en direct associé à des fonctionnalités de commentaires très fluides laisse entrevoir une nouvelle rupture d’usage. A l’instar de l’image fixe, la vidéo, après sa démocratisation progressive, est peut-être en passe de devenir un élément de langage courant.
Se promener de live en live sur Meerkat ou Periscope a quelque chose d’hypnotique : là, une conversation en cours sur un projet de documentaire participatif à Singapour ; ici, une jeune femme à Toronto qui part travailler ; là-bas, une rue commerçante en Russie vue d’une salle de classe vide ; ici encore un chien qui se prélasse au soleil, etc. Le flux vidéo devient un prétexte à commenter, à aimer, à se rassembler, et bien sûr à plaisanter. Une blague récurrente fait le buzz sur Periscope : « montre moi ton frigo ». Une façon de demander à celui ou celle qui filme de dévoiler son intimité ou bien une façon de combler la totale vacuité de la plupart des flux vidéo… Qu’importe, nous avons tout à coup accès à une multitude de vies en direct et nous pouvons intervenir dans le cours de l’action, interagir avec le ou la protagoniste… et c’est fascinant.
Que se passera t-il lorsque ce dispositif de « vidéo conversationnelle » se déploiera au sein des réseaux en « clair-obscur » comme Facebook, c’est à dire des réseaux où nous pouvons déterminer des degrés de confidentialité et sélectionner ceux avec qui nous voulons échanger ? Il est probable que nous l’utiliserons pour faire récit de nos vies auprès de nos proches, aussi naturellement que nous le faisons aujourd’hui avec les photos.
Alors préparons-nous à montrer nos frigos…
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L’image sociale : le carnet de recherche d’André Gunthert