Un monde numérique qui se voulait ouvert et solidaire…

Si les acteurs de la solidarité se sont massivement saisis du numérique pendant la période du confinement, cette période nous a aussi durement rappelé qu’une très large partie de la population reste soit en marge, soit en surface de ce monde numérique. Faut-il, sous ce regard, abandonner l’utopie d’un monde numérique solidaire, c’est-à-dire en particulier vraiment inclusif ?

La crise sanitaire mondiale nous a contraint à pratiquer le numérique comme jamais auparavant, ce qui a accentué les fractures numériques existantes, mais aussi révélé globalement les lacunes de nos usages numériques. « Le confinement a, en fait, montré que nous manquons de pratique habituelle d’un numérique socialement utile. Par exemple, les outils de téléconsultation médicale n’avaient pratiquement pas été mis en place avant le confinement et soudain ils sont devenus cruciaux pour l’accès à la santé. Dans cette situation, les personnes en difficulté avec le numérique se sont senties encore plus vulnérables. On a fait face à un double sujet : celui d’un manque de confiance en soi, allant jusqu’à provoquer des situations de panique, et celui d’un manque de confiance dans les outils. », remarque Orianne Ledroit, conseillère ministérielle auprès du Secrétaire d’État au Numérique, qui a participé activement au dispositif Solidarité Numérique, une communauté de médiateurs numériques s’étant organisée pour venir en aide aux personnes en difficulté avec le numérique pendant le confinement.

Aussi, au moment où le numérique aurait pu apporter une aide essentielle aux personnes isolées, démunies – ce qu’il a fait en partie, grâce à la mobilisation des acteurs de la solidarité et des citoyens – un grand nombre de personnes en sont restées privées. Comment expliquer la persistance d’une telle exclusion numérique malgré les années, malgré les politiques et les actions sur le terrain d’accompagnement au numérique ? Comment justifier, qu’en 2018, pour ne parler que de la France, on comptait 13 millions de personnes éloignées du numérique ?

De l’accès aux outils à l’inclusion numérique : le rôle de la médiation

Depuis la fin des années 1990, les pouvoirs publics ont beaucoup œuvré pour réduire la fracture numérique, c’est-à-dire le défaut d’équipement, en développant les infrastructures réseau, le Wifi, en distribuant des ordinateurs et des tablettes à l’école, en créant des points d’accès gratuit à Internet, etc. Cependant, « donner accès » s’est rapidement révélé insuffisant. Le numérique s’est, en effet, construit autour d’une culture technique, valorisant l’auto-apprentissage et l’apprentissage entre pairs (communauté open source, tutoriaux en ligne, forums, etc.), en opposition avec l’instruction, la formation, les professeurs, les « sachants »… Un mécanisme culturel que décrit bien l’auteur italien Alessandro Baricco dans son livre The Game : pour faire partie de la société numérique, « il est nécessaire d’avoir de solides compétences qui ne sont enseignées nulle part : on apprend en jouant, comme dans les jeux vidéo. Mais, contrairement aux jeux vidéo, on n’a qu’une seule vie, quand on tombe, on tombe. » C’est ainsi qu’à la fracture numérique « classique », de l’ordre de l’équipement, s’est ajoutée une fracture d’usage, et malgré cette réalité d’un numérique doublement excluant, la dématérialisation des services publics et des services privés (banques, fournisseurs d’énergie, transports, etc.) s’est accélérée. « Nous avons ancré le numérique dans la vie de trop nombreuses personnes tout en oubliant de mettre en place des filets de sécurité qui auraient permis à chacun de rebondir », rapporte ainsi Alessandro Baricco.

Pour tenter d’amortir ces inégalités face au numérique, le tissu associatif et les pouvoirs publics ont créé des espaces dédiés un peu partout sur le territoire : médiathèques, cybercafés solidaires, tiers-lieux de culture numérique, ateliers d’accompagnement au numérique, fablabs, festivals d’arts numériques, etc. Ces lieux facilitent l’accès et l’alphabétisation au numérique et, quand cela est possible, favorisent l’acquisition d’une « littératie numérique », c’est-à-dire d’une appropriation culturelle du numérique : comprendre les règles et les usages, prendre conscience des enjeux liés aux données personnelles, des risques de dérives d’une société algorithmique, etc. Équipement, éducation et culture, ce travail de terrain auprès des personnes en difficulté a fait émerger de façon diffuse ce qu’on appelle aujourd’hui la médiation numérique et les politiques d’inclusion numérique.

Pourtant, malgré tous les efforts réalisés par ces acteurs de la médiation numérique, malgré la démocratisation croissante du numérique via les smartphones et le design des applications numériques de plus en plus intuitif, « ce système [Internet] né pour redistribuer le pouvoir a fini par distribuer avant tout des possibilités, obtenant comme résultat inattendu de créer une immense concentration de pouvoirs », constate Alessandro Baricco. En d’autres termes, contrairement à ce qu’espéraient les pionniers d’Internet, l’émancipation individuelle permise par l’accès aux outils numériques ne concerne toujours qu’une petite partie de l’humanité, et la société numérique devenant de plus en plus incontournable et porteuse de progrès, les inégalités se creusent entre ceux qui profitent pleinement du numérique et les autres : ceux qui sont trop précaires, trop vieux, trop isolés, handicapés, illettrés, en zone blanche, etc.

Pour l’expliquer, Jacques-François Marchandise, délégué général de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), pointait du doigt, lors de l’événement Numérique en Commun(s) d’octobre 2019, le déséquilibre entre les moyens massifs investis dans le développement des infrastructures réseaux et des systèmes techniques, et ceux trop faibles consacrés à financer des médiateurs numériques : « Il y a toujours, là, un manque de lucidité, car le numérique n’a pas de sens s’il n’est pas fondé sur l’investissement humain. Nous aurons réussi quand nous serons tous porteurs de l’idée que les démarches d’inclusion sont la locomotive du numérique de demain plutôt que la voiture-balai, qu’elles méritent des investissements consistants et une reconnaissance de sa valeur », plaide-t-il. Il souligne, en effet, la précarité fréquente de ce métier, l’appel régulier à des services civiques ou des stagiaires pour remplir ce rôle, le manque de formation numérique des acteurs sociaux dont l’accompagnement des plus fragiles est le métier, etc.

Sortir de l’impasse d’une approche purement numérique de l’exclusion

En outre, il estime que nous avons échoué à prendre suffisamment en compte les facteurs d’exclusion sociale : « On a dit à de nombreuses reprises que la fracture numérique n’était plus le bon terme, qu’elle était une mauvaise description des difficultés que le numérique renforce ou atténue. Mais, les fractures “tout court” sont encore là et demandent des accompagnements, des médiations et ingénieries subtiles. Nous sommes, le plus souvent, en échec face aux détresses véritables des publics les plus éloignés des liens sociaux. » Pour les plus démunis socialement, c’est effectivement souvent la double peine, « 45% des précaires isolés sont en difficulté face au numérique. Il y a donc bien une concomitance entre la fracture sociale et la fracture numérique », confirme François Sentis, directeur général de l’IRTS (Institut Régional du Travail Social) en région Sud. Dorie Bruyas, directrice de Fréquence Ecoles, ajoute que « les jeunes les plus éloignés des compétences traditionnelles sont aussi ceux qui sont les plus éloignés des compétences numériques. Et lorsqu’ils rencontrent des problèmes, ils se tournent majoritairement vers leur mère, alors que les femmes de 30 à 50 ans apparaissent dans les baromètres comme les moins à l’aise avec le numérique…  »

En revanche, il faut se méfier de l’idée reçue qui superposerait toujours exclusion numérique et exclusion sociale. Par exemple, « les pratiques numériques dans les quartiers prioritaires de la ville sont comparables à celles de l’ensemble des Français », rapporte l’étude Capital Numérique menée par OuiShare et Chronos. « Parler de fracture numérique dans les quartiers populaires de la ville détourne dès lors des difficultés réelles de ces quartiers qui sont, en fait, liées en grande partie à l’isolement et à des parcours scolaires défaillants », déclare Taoufik Vallipuram, responsable des partenariats à OuiShare. On peut observer aussi que les migrants sont des usagers comme les autres – voire plus que les autres – des outils numériques, rapporte Dana Diminescu, chercheuse à Télécom Paris-Tech. En outre, nous risquons tous, un jour ou l’autre, de vivre une forme d’obsolescence numérique, que nous soyons démunis ou nantis, car « les difficultés avec le numérique ne vont pas disparaître mais se transformer sans cesse, à mesure de l’évolution des technologies et de leur application », observe Yvan Godreau, médiateur numérique en Maine et Loire. Enfin, nous pouvons avoir des pratiques numériques quotidiennes de WhatsApp, Netflix, Tik Tok, YouTube, Uber ou Amazon dans une optique de consommation ou de loisirs, et nous retrouver démunis lorsqu’il s’agit de suivre un cours à distance, de contribuer à la démocratie locale, de mener des actions citoyennes en ligne, de trouver des réseaux d’entraide, etc.

Ainsi, la question est complexe et ne concerne ni uniquement l’outil numérique, ni uniquement la situation sociale. Elle nécessite d’agir de façon coordonnée sur plusieurs terrains, que ce soit l’accès au droit, le monde du travail ou encore l’école, avec des approches multiples et des acteurs divers. Le secteur de la médiation numérique regroupe déjà des cultures et des horizons très variés : associations d’éducation populaire, opérateurs et tiers-lieux numériques, centres sociaux, associations solidaires, organismes de formation, collectivités territoriales, réseaux des bibliothèques, mouvement des communs, universitaires, etc. Malheureusement, le manque de coordination des actions et des acteurs y est fortement ressenti… « On fait tous quelque chose en regardant dans la même direction, mais on ne le fait pas ensemble. Il y a trop d’égos, d’esprits de boutique, etc. », observe ainsi Frédéric Bardeau, fondateur de Simplon.co, qui en appelle non sans humour à la création d’une « justice league » de la médiation numérique.

Toutefois, depuis cinq ans, l’État tente de structurer une coordination territoriale des politiques d’inclusion numérique, avec le lancement, par exemple, des Hubs numériques régionaux, des Fabriques du Territoire ou encore du Pass numérique. Il s’agit d’un système mutualisé de financement de l’accompagnement au numérique. Les collectivités et les entreprises achètent des Pass et les distribuent aux personnes en difficulté avec le numérique, qui peuvent alors se rendre dans des lieux près de chez elles pour suivre des ateliers d’accompagnement au numérique. En définitive, la structure qui réalise les ateliers est rémunérée en fonction du nombre de Pass utilisés. Si ce système permet de mieux répondre aux besoins des personnes en difficulté et de mieux utiliser les ressources du territoire, le mode de financement pose question, car il porte une logique de l’offre et une logique de productivité dans un domaine où il est essentiel de prendre du temps pour répondre à une très large variété de situations : illettrisme, handicap, précarité, vulnérabilité, etc.

Voilà, donc, où nous en étions début 2020 en matière de réflexion sur l’inclusion numérique, avant la crise sanitaire mondiale qui nous a contraint collectivement à habiter le numérique. L’espace numérique est alors devenu, pour beaucoup, le seul espace de vie sociale, un unique espace qui a encapsulé tous les autres : sphère familiale et amicale, environnement professionnel, canal d’information et d’accès aux aides sociales et médicales, à la culture, etc. Qu’a révélé de nouveau cette expérience intensive du numérique ?

De la pratique à l’habitation du numérique : les révélations du confinement

C’est une évidence, mais c’est un aussi un événement sans précédent : le confinement a permis une acculturation massive au numérique, faisant tomber de nombreuses barrières dans l’usage des outils de communication, de travail, de santé, d’éducation ou encore d’accompagnement social à distance. Et cette expérience numérique était au-delà du palliatif, reconnaît le géographe Michel Lussault, c’est-à-dire qu’elle a permis de faire plus que de maintenir un lien en mode dégradé. Elle a facilité l’invention de nouveaux registres de familiarité entre proches, de nouvelles façons d’être ensemble, de converser, de partager, de se réunir. Elle a aussi ouvert la porte pour expérimenter des modes d’organisation plus distribués, moins hiérarchiques, laissant plus de place à l’autonomie et à l’initiative, une liberté qui a pu parfois être source d’angoisse, tant elle a été soudaine et difficile à accompagner à distance.

Il va sans dire que ceux qui n’étaient pas éloignés du numérique mais quasiment ou carrément déconnectés ont, en revanche, souffert d’un abandon social extrêmement grave que certaines associations ont pu parfois atténuer en maintenant leur présence dans les rues ou auprès des personnes âgées isolées, etc. Pour les autres, la capacité du numérique à ouvrir l’espace social a été cruciale, notamment en raison d’une assignation à résidence qui a exacerbé de nombreuses inégalités, révélant l’inconfort voire l’insécurité de certains lieux, le manque de chaleur et de convivialité de certains foyers. « Certains jeunes LGBT, par exemple, qui arrivaient à supporter les propos homophobes de leur famille parce qu’ils passaient finalement peu de temps avec elle, ont dû, avec le confinement, y faire face 24 heures sur 24. Les réseaux sociaux ont été pour eux un espace vital de rupture de l’isolement, de réassurance, et un moyen de contestation de la norme, d’affirmation de leurs singularités », raconte Marie Picard, auteure et productrice de contenus numériques.

Ensuite, le numérique nous a permis de maintenir l’existence d’un champ social quand la distanciation sociale nous enjoignait au repli sur soi. « La nécessité de faire corps, de faire communauté en ligne sur le seul critère d’une localité partagée s’est avérée beaucoup plus essentielle qu’avant », rapporte ainsi Marie Picard. On a vu se multiplier des groupes WhatsApp des voisins, des communautés solidaires de quartier pour récolter des dons en ligne, pour organiser la confection et la distribution de repas aux soignants, de masques et de visières, l’organisation des courses pour les plus fragiles, etc. Dans les grandes villes, ces communautés ont ainsi créé des liens forts là où habituellement il y avait des liens faibles de sociabilité voire une absence de relation. Et ces espaces ont perduré après le confinement.

Cependant, cette expérience intensive du numérique a aussi mis en lumière une limite qui semble indépassable : celle de l’incapacité d’accéder par le numérique à un rapport sensible au monde, provoquant une souffrance, voire dans certains cas, une phobie du contact. « En ligne, même en visioconférence, la coprésence physique manque, et je ne parle pas du côté tactile, charnel. Les corps manquent d’abord visuellement parce que dans l’espace public, on voit des corps, des mobilités, des démarches, des mouvements, des chorégraphies. Avec le numérique, on ne voit que des visages fixant l’écran », déplore Michel Lussault. « À travers un écran, on peut voir les gens, mais on ne les ressent pas. Il y a une partie de l’échange qui est absent, il y a beaucoup de hors-champs. Je m’aperçois que le rapport sensible aux autres, l’intelligence sociale, ne sont pas suffisamment pensés dans les interactions numériques », constate de son côté Orianne Ledroit. « Paradoxalement, surenchérit Michel Lussault, même si le numérique nous ouvre des fenêtres qui ouvrent sur des fenêtres qui ouvrent sur des fenêtres, c’est un système qui nous a profondément fait perdre le sens des liens. C’est un système où vous cliquez de lien en lien, mais le lien ne fait pas lien. Le lien fait ouverture. Le lien ne fait plus relation. La solidarité ne se résume pas à l’existence d’un système de liens, ce n’est pas le nombre de liens qui compte, mais la qualité et l’épaisseur des liens. La solidarité n’est pas une notion comptable », ni un calcul algorithmique…

En revanche, cette expérience nous a conduit à charger l’outil numérique d’un lien émotionnel et intime quand auparavant ce rapport était essentiellement technique ou instrumental. « Qu’on ait aimé ou non les apéros Zoom avec les proches, le groupe WhatsApp avec ses parents ou la visio avec ses grands-parents dans les EHPAD, il est clair que le confinement nous a amenés à humaniser le numérique », estime Marie Picard. Serait-il alors encore possible de réparer notre rapport au monde numérique de sorte qu’il résonne non pas comme une mise en équation de l’humanité mais comme un écho de notre humanité ?

Epilogue provisoire : rendre le numérique désirable

En prenant un peu de recul, le philosophe Hartmut Rosa observe dans son dernier essai, Rendre le monde indisponible, que les technologiques numériques ont eu tendance à opérer une mise à distance, à faire écran. Nous regardons de plus en plus le monde de l’extérieur, à travers l’écran de nos smartphones, que ce soit la caméra du téléphone, le GPS ou les réseaux sociaux, comme si nous ne faisions pas partie du monde auquel nous cherchons à accéder. Pour Hartmut Rosa, le numérique n’est pas la cause mais l’instrument de ce détachement. La cause, nous dit-il, il faut la chercher dans notre obsession à vouloir rendre le monde disponible, consommable en tous points, à la disposition de nos moindres désirs. Car, paradoxalement, plus il devient disponible et moins il est désirable. Notre relation au monde perd, alors, en épaisseur, en résonance : « Sujet et monde se font face avec indifférence ou même hostilité sans créer de lien inhérent. »

Ainsi, un monde numérique solidaire ne serait pas un monde où la solidarité serait un dû, où la solidarité serait rendue disponible en un clic. Ce ne serait pas, non plus, un monde dans lequel on serait automatiquement inclus sans jamais pouvoir questionner ce dans quoi on est inclus. C’est sans doute là l’écueil premier de l’idée d’inclusion numérique : vouloir inclure malgré tout, malgré les réticences, malgré les désaccords, malgré les peurs, malgré les dommages collatéraux. « Aujourd’hui, nous [le secteur de la médiation numérique] sommes curieusement toujours porteurs d’une vision où le numérique est l’objectif. Nous évangélisons. Nous comptons les retardataires – et nous les plaignons. Et ce faisant, nous supposons que le numérique est neutre, nous laissons dans le même ensemble les outils qui nous aliènent et ceux qui nous émancipent. Ceux qui épuisent la planète et ceux qui peuvent aider à mieux partager la valeur et les ressources. Nous aurons réussi si nous contribuons à enrichir notre démocratie technique, c’est-à-dire le choix de nos leviers numériques, notre capacité stratégique individuelle et collective à refuser le numérique que nous ne voulons pas, à renforcer le numérique que nous voulons », conclut Jacques-François Marchandise.

Dans quel monde numérique souhaiterions-nous donc vivre ? Pour commencer, ce ne serait pas un monde qui aurait été rendu disponible à tous, mais un monde qu’on aurait la possibilité d’atteindre, pour reprendre l’analyse de Hartmut Rosa. Ce serait un monde que nous ferions donc le choix de rejoindre… ou non. « Quel est finalement le rôle de la médiation numérique ? Évangéliser au numérique ou faire en sorte qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité et qu’il y ait des alternatives ? », questionne Céline Berthoumieux, directrice de Zinc, association de la Friche de la Belle de Mai à Marseille qui soutient la production et la diffusion des arts numériques. Construire un monde numérique ouvert et solidaire serait alors en premier lieu veiller à ce qu’il ne soit pas le seul monde possible.

En outre, notre habitation du numérique est restée très rudimentaire. Nous n’avons pas encore assez réalisé que le numérique peut nous apporter bien autre chose que des sushis à domicile ou la dernière saison de telle ou telle série ou de tel ou tel jeu. Depuis vingt ans, le numérique a, en effet, beaucoup servi à répondre à la satisfaction des besoins de consommation individuels. « Or dans la satisfaction du besoin individuel, la relation avec autrui n’est intéressante qu’à partir du moment où elle vous sert, alors qu’une société solidaire, c’est une société où la relation n’est pas servicielle. On ne la juge pas en lui attribuant des étoiles », analyse Michel Lussault. Est-ce, alors, tout simplement, en creux de l’économie numérique et de la société de consommation que s’écrit un monde numérique plus solidaire, avec des logiques d’échange plus que des logiques marchandes, des mécanismes d’attention à l’autre plutôt que de surveillance de tous, de vraies relations sociales plutôt que des liens sociaux neutres ? L’expérience d’habitation du numérique, depuis le confinement, a laissé entrevoir la possibilité de ce numérique plus solidaire, plus bienveillant, socialement plus utile, plus profond d’un point de vue relationnel. Et si, nous partions d’elle pour esquisser les contours du monde (numérique) d’après ?

https://www.solidarum.org/vivre-ensemble/monde-numerique-qui-se-voulait-ouvert-et-solidaire